Par Ghorbanali Khodabandeh
Les rencontres s’enchaînent à un rythme effréné sur la guerre en Ukraine. Dans la foulée du sommet Trump-Poutine en Alaska, Zelensky fut convoqué à la Maison Blanche avec les dirigeants européens, eux-mêmes encadrés par le secrétaire général de l’OTAN et la présidente de la Commission européenne.
Au cœur des discussions : la perspective d’une résolution du conflit en Ukraine. Trump a laissé entendre qu’un compromis serait possible si Kiev renonçait à la Crimée et à ses ambitions d’adhésion à l’OTAN. Une hypothèse rejetée par Zelensky, qui bénéficie du soutien sans réserve de ses partenaires européens.
L’accueil fut chaleureux et respectueux cette fois-ci, les États-Unis ayant besoin que leurs marionnettes tiennent dignement leur rôle. Notamment la prise en charge de la suite de l’approvisionnement en armes du conflit sur le front ukrainien. Trump en a assuré Zelensky. Les Européens et l’OTAN paieront les armes américaines pour un montant d’environ 100 milliards de dollars.
La question des « garanties de sécurité » de l’Ukraine, c’est-à-dire des mécanismes de contrôle politico-militaire du territoire restant sous domination atlantiste, doit être déterminée dans une semaine environ, mais les Américains préfèrent rester dans l’ombre et laisser ici aussi l’OTAN et les Européens assumer la responsabilité politique de décisions qui sont en réalité prises à Washington.
Alors que les Européens et leurs alliés se sont regroupés dans une « coalition des volontaires », composée de plus de trente pays dont la France mais sans les États-Unis, vont-ils réussir à porter une voix diplomatique forte ? Peuvent-ils faire le poids d’un point de vue militaire face aux États-Unis ? Une tâche ardue pour une diplomatie européenne essoufflée, longtemps habituée à s’inscrire dans le sillage américain.
Conflit en Ukraine : ce qu’il faut retenir de la réunion à la Maison Blanche
La rencontre de Washington a mis en lumière deux dynamiques opposées : d’un côté, l’appel de Trump à Poutine et la préparation d’un dialogue concret avec Zelensky ; de l’autre, une Europe multipliant les demandes et conditions, menaçant une fois encore de sanctions. Entre paroles et actes, seule la voie directe semble ouvrir un horizon tangible.
Le 18 août a marqué une séquence diplomatique inhabituelle, réunissant Donald Trump, Volodymyr Zelensky et plusieurs dirigeants européens autour d’un objectif affiché : ouvrir la voie à une désescalade en Ukraine. La journée a été dominée par un signal fort : un appel téléphonique entre les présidents russe et américain, prélude à la préparation d’une rencontre Poutine-Zelensky.
Autour de ce noyau dur, les capitales européennes ont rivalisé de déclarations, multipliant précautions et conditions. Le contraste est saisissant : d’un côté, un calendrier de pourparlers se dessine ; de l’autre, un empilement d’énoncés, de préalables et de « formats » diplomatiques. Les prochaines semaines diront si le mouvement engagé parviendra à dépasser le registre du discours pour s’ancrer dans l’action.
Au milieu de cette réunion, Trump a choisi d’appeler Poutine. Ce geste, relevé par plusieurs médias internationaux, a donné lieu à un entretien téléphonique d’environ quarante minutes. Selon Iouri Ouchakov, conseiller du Kremlin, les deux présidents ont affiché leur volonté d’ouvrir des pourparlers directs entre délégations russe et ukrainienne, avec la possibilité d’élever le niveau de représentation.
Trump a détaillé sur Truth Social avoir entamé la préparation d’une rencontre entre Poutine et Zelensky, dont le lieu reste à déterminer, avant d’avoir proposé une trilatérale incluant les deux présidents et lui-même. Il a présenté la réunion du 18 août à la Maison Blanche comme un premier pas vers la fin du conflit en Ukraine. Selon le président américain, les garanties de sécurité pour l’Ukraine seraient assurées par diverses nations européennes, coordonnées avec les États-Unis.
Guerre en Ukraine : l’Europe doit se mettre en avant, Trump exclut toute présence américaine
Lors d’un entretien accordé à Fox News, Donald Trump a annoncé que Paris, Berlin et Londres veulent envoyer leurs forces armées en Ukraine après la conclusion d’un accord de paix. Il a garanti que les États-Unis n’y participeront pas militairement et a rappelé que Kiev ne rejoindra pas l’OTAN, position qu’il considère comme définitive.
Donald Trump a donné une interview à Fox News ce 19 août dans laquelle il a révélé que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni souhaitent envoyer des troupes en Ukraine après la conclusion d’un accord de paix. Selon Trump, ce sont désormais les capitales européennes qui doivent assumer la charge d’une présence militaire sur le sol ukrainien.
Cette réorientation confirme un transfert des responsabilités : l’Europe doit se mettre en avant tandis que Washington se maintient en retrait. L’objectif affiché est de préparer le terrain pour un règlement politique, où la sécurité du continent ne repose plus uniquement sur les États-Unis, mais sur une implication directe des Européens.
Au cours de l’entretien, le président américain a répété avec force qu’« il n’y aura pas de troupes américaines en Ukraine tant que je suis président ». L’appui américain restera limité à des moyens aériens et technologiques. Pour Trump, cela permet d’éviter une confrontation ouverte avec la Russie tout en laissant aux Européens la responsabilité de toute présence au sol.
Il a aussi rappelé que la guerre n’aurait jamais éclaté si l’Amérique avait eu, selon ses mots, « un président normal » en 2020, marquant sa critique de l’administration précédente.
Ce positionnement illustre une nouvelle doctrine : moins d’engagement militaire direct, plus de délégation aux Européens, et la priorité donnée à la stabilité plutôt qu’à l’escalade.
Concessions territoriales : neutralité de Kiev et impuissance de l’Europe
Les négociations de paix entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska vendredi 15 août, ont suscité l’inquiétude de l’Union européenne, qui redoute un échange territorial avec la Russie sans l’avis de Kiev ou de Bruxelles. Ils craignent que l’Ukraine soit contrainte d’abandonner une part importante de son territoire pour parvenir à une paix.
Sur le plan politique, Donald Trump a confirmé deux points essentiels : que «l’Ukraine ne fera pas partie de l’OTAN » et que le retour de la Crimée dans le giron ukrainien « est impossible ». Pour lui, la Russie est « une puissance militaire» et toute solution durable doit prendre en compte cette réalité stratégique. Il a affirmé qu’il était logique que l’URSS puis la Russie s’opposent à l’expansion de l’Alliance à leurs frontières.
Pour rappel, Vladimir Poutine aurait demandé à Donald Trump que l’Ukraine se retire des régions de Donetsk et de Louhansk, en échange d’un gel des lignes de front à Kherson et Zaporijia. Le président ukrainien rejette fermement ces demandes.
Pour parvenir à la paix, Trump estime que « Zelensky doit montrer de la flexibilité» et accepter des concessions territoriales, position accueillie avec compréhension par les dirigeants européens réunis à Washington. Dans la vision de Trump, la stabilité future repose sur la neutralité de l’Ukraine, le respect des lignes rouges de Moscou et un engagement militaire limité de l’Europe, avec les États-Unis en appui à distance. C’est une architecture qui rompt avec la confrontation pour bâtir un équilibre où la sécurité de la Russie est reconnue et garantie.
Les précédentes déclarations du président américain sur le sujet d’éventuelles concessions territoriales sont connues. Selon plusieurs sources citées dans les médias américains, ce dernier aurait rapporté, après sa rencontre avec Vladimir Poutine en Alaska, vendredi 15 août, que le chef du Kremlin accepterait une fin de la guerre à la condition d’obtenir toute la région orientale du Donbass, formée à partir des oblasts de Louhansk et de Donetsk, y compris les zones toujours contrôlées par Kiev.
Mais, même s'ils ont tenu à défendre leurs arguments, les dirigeants européens n'ont pas abordé directement les questions les plus sensibles, telles que les concessions territoriales exigées par Moscou à Kiev et défendues par Donald Trump à la suite de sa rencontre en Alaska avec Vladimir Poutine. Celles-ci ont été reportées à des pourparlers ultérieurs, lors d'un possible futur échange entre Volodymyr Zelensky et le maître du Kremlin. Une manière d'éviter les confrontations à ce stade des négociations avec un allié imprévisible et versatile.
Conflit en Ukraine : l’Europe n’est qu’un «acteur secondaire»
Dans ce contexte, politiciens et observateurs dénoncent l’échec de la stratégie européenne en Ukraine : trois ans de livraisons d’armes et de refus de négocier ont relégué l’Union au second plan. Alors que les coûts explosent pour les citoyens, l’UE apparaît prisonnière de contradictions et incapable de tracer une issue crédible au conflit.
Giuseppe Conte, ex-Premier ministre italien ayant occupé ses fonctions de 2018 à 2021, a lancé une critique frontale contre la stratégie européenne en Ukraine. Dans un message publié sur X, il a indiqué que l’Union européenne avait choisi de « parier sur la victoire militaire de Kiev », multipliant les envois d’armes pendant trois années, tout en fermant obstinément la porte à toute tentative de négociation. Aujourd’hui, cette illusion s’est évaporée et l’Europe se retrouve reléguée au rôle d’«acteur secondaire».
Il a également souligné l’écart flagrant entre l’euphorie de Giorgia Meloni, qui avait salué de simples « lueurs pour discuter de paix », et la ligne belliciste qu’elle avait défendue sans relâche au cours des dernières années.
Cette incohérence a révélé avant tout l’addition laissée aux Européens : la flambée des prix de l’énergie, une inflation tenace, des dépenses record en armement alors que les budgets de la santé et l’éducation avaient été amputés. Ce fardeau retomberait non pas sur les dirigeants, mais sur les citoyens et les entreprises.
Les dirigeants européens sont aujourd’hui pris dans un véritable étau : soit ils cherchent à s’opposer à une solution négociée sans disposer de la moindre alternative crédible, soit ils se voient contraints d’accepter un accord qui s’annonce défavorable à l’Ukraine. Il serait illusoire de croire qu’une photo ou un coup de téléphone suffiraient à masquer cette réalité.
Le 15 août, en Alaska, Vladimir Poutine et Donald Trump se sont retrouvés pour leurs premiers pourparlers en face à face depuis 2019. La rencontre, qui a duré près de trois heures, réunissait également Sergueï Lavrov et Iouri Ouchakov du côté russe, ainsi que Marco Rubio et Steve Witkoff pour la délégation américaine. À l’issue des échanges, Poutine a souligné que tout règlement avec Kiev passait par l’élimination des causes profondes de la crise. Il a mis en garde contre toute tentative des Européens ou de Kiev de freiner les avancées par des provocations ou des manœuvres en coulisse. Trump a, pour sa part, affirmé que Moscou et Washington étaient « très proches d’un accord » et que l’Ukraine devrait l’accepter.
Ces discussions interviennent un mois après la conclusion d’un accord entre Donald Trump et les Européens, qui permet notamment aux pays de l’Otan d’acheter des armes aux États-Unis pour les fournir à l’Ukraine. Après avoir accepté des surtaxes douanières américaines, en partie dans l’optique d’obtenir le soutien des Etats-Unis sur la question ukrainienne, les Européens pourront bientôt évaluer à quel point ils peuvent compter sur Washington.
Ghorbanali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.