Abû Tharr Al-Ghifârî Un Compagnon modèle

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Abû Tharr Al-Ghifârî     Un Compagnon modèle

Table des Matières

PRÉFACE 5

Chapitre 1 : Avant la découverte de l'Islam 11

Chapitre 2 : A la recherche du Prophète (P) 23

Chapitre 3 : De Retour dans sa tribu 29

Chapitre 4 : Lors de l'émigration du Prophète à Médine 44

Chapitre 5 : Un disciple modèle du Prophète 59

Chapitre 6 : Véridicité, érudition et ascétisme 79

Chapitre 7 : Les Enseignements du Prophète à
Abû Tharr 93

Chapitre 8 : Abû Tharr, rapporteur du Hadith
du Prophète (P) 113

Chapitre 9 : Prise de Position concernant la Succession du Prophète (P) 121

Chapitre 10 : Le Transfert de la Succession
du Saint Prophète 135

Chapitre 11 : Les Racines du mal et du malaise 149

Chapitre12 :Abû Tharr et `Othmân 171

Chapitre 13 : Abû Tharr et Mu`âwiyeh 177

Chapitre 14 : Un second exil en Syrie 197

Chapitre 15 : De Retour chez `Othmân 205

Chapitre 16 : `Othman, le népotisme et les Tulaqâ' 213

Chapitre 17: Les causes profondes de l'amertume d'Abû Tharr 233

Chapitre 18 : Le brûlage des copies du Coran 239

Chapitre 19 : Abû Tharr, l'incorruptible, condamné à la déportarion 245

Chapitre 20 : Un sort pathétique 259

Chapitre 21 : Les péripéties du soulèvement des mécontents contre `Othmân . 281

 

 

PRÉFACE



Après treize ans de souffrances et de luttes continuelles, le Prophète quitta la Mecque pour Médine, ayant estimé que la phase de la fragilité de l'Islam et de sa pratique secrète était terminée, et qu'il devait avec le concours de ses fidèles et courageux Compagnons construire le grand édifice de l'Etat islamique et poser la fondation de son régime politique conformément à la Volonté d'Allah.

Dès son arrivée à Médine, le Saint Prophète y construisit un masjid (mosquée) ainsi qu'une maison adjacente dont la porte s'ouvrait à l'intérieur de la Mosquée, pour qu'il y habite. Dans cette nouvelle situation la vie du Prophète ne subit aucun changement. Il resta le même du début jusqu'à la fin. Sa conduite, ses manières et son comportement ne changèrent en rien même après l'instauration du Gouvernement islamique dans toute l'Arabie.

Régime et un Etat islamiques émergèrent au milieu des deux super-puissances de l'époque (l'Empire perse et l'Empire romain). Dans cet Etat islamique il n'y avait pas de gouvernants et de sujets, ni d'officiers et de subalternes, ni de maîtres et d'esclaves. Tout le monde était égal devant Allah.

Le Fondateur de ce régime rendit le dernier soupir, et la première déviation qui secoua la fondation de l'Islam et donna lieu à la formation de factions politiques au sein de la Communauté musulmane eut lieu avec la mise à l'écart de l'Imam `Ali du Pouvoir et du Califat (la succession du Saint prophète).

Abû Tharr était l'un des plus dévoués et des plus courageux des Compagnons du Saint Prophète. Il était parmi les cinq premières personnes à embrasser l'Islam, et son épée était très efficace pour la défense du Prophète. Il était donc normal qu'il fût également l'un des premiers à s'alarmer en voyant que l'Imam `Ali qui incarnait la vertu et la vérité, était exclu des affaires de l'Etat islamique, alors que beaucoup de ceux qui gardaient encore de la rancune pour l'Islam s'étaient glissés à l'intérieur de l'organisation du Califat, et s'étaient appliquées à la ronger, comme des termites.

Abû Tharr était donc terriblement inquiet pour l'avenir de l'Islam et les jours noirs qui l'attendaient. Il avait toutefois un motif de consolation, car il était confiant qu'en aucun cas la caravane de l'Islam n'arrêterait pas sa marche, et que même si un droit important avait été violé, le système islamique n'était pas remis en cause. C'est pourquoi, bien que très affligé par la privation de l'Imam Ali de son droit légitime de succéder au Saint Prophète à la tête de l'État islamique, il garda le silence.

Mais lorsque `Othmân accéda au Califat, la situation changea. La population musulmane, et notamment les gens les plus démunis se trouvèrent à la merci des usuriers, des marchands d'esclaves, des nantis et des aristocrates qui fréquentaient la Cour de `Othmân et le Palais de Mu`âwiyeh. La classe distinguée et les possédants commencèrent à ressurgir et à présenter un grand danger pour la société musulmane, fondée sur l'égalité et la justice sociale. Les traditions du Prophète (P) en la matière furent abandonnées. Des sommes faramineuses furent dépensées pour la construction du Grand Palais du "Gouvernant islamique" (Mu`âwiyeh) à l'instar des Cours impériales. Alors que le Calife `Omar avait mené la vie d'un homme ordinaire, et qu'Abû Bakr n'avait pas hésité à traire les chèvres d'un Juif pour gagner sa vie, le collier de l'épouse de `Othmân, le 3e Calife coûtait l'équivalent du tiers du revenu perçu d'Afrique!

Alors que sous le Califat de `Omar, lorsque le fils d'un officier supérieur, usant indûment de la position de son père s'était emparé de force du cheval d'un homme, le Calife avait poursuivi en justice aussi bien le père que le fils, `Othmân, son successeur, n'a pas hésité à nommer Marwân Ibn al-Hakam - qui avait été banni par le Prophète - comme son conseiller et son "Super-vizir", et à lui offrir le domaine de Khaybar ainsi que le revenu de l'Afrique.

Excédé par tous ces agissements indignes de l'Islam authentique, et ne pouvant plus garder le silence, Abû Tharr se souleva contre ce régime tyrannique et injuste. Ce soulèvement courageux conduisit tous les territoires islamiques à se révolter contre les injustices du gouvernement de `Othmân. Ses vagues mugissantes ont laissé des traces encore perceptibles dans l'histoire de l'humanité.

Abû Tharr était soucieux de rétablir les valeurs islamiques abandonnées par l'administration de `Othmân au profit et à cause de la restauration de l'aristocratie anté-islamique. Abû Tharr considérait l'Islam comme étant le refuge de tous les déshérités, les dépossédés et les opprimés, alors que le gouvernement de `Othmân en fit l'instrument de la montée des aristocrates et des usuriers.

Cette fracture entre Abû Tharr et `Othmân continua et finit par coûter cher au premier.

La Toute-Puissance et l'Omniscience d'Allah étaient toujours présentes dans la conscience d'Abû Tharr. Aussi, ne se permit-il une seule seconde de s'écarter de Son Chemin ni d'oublier ses devoirs envers Lui. Il passa pour être "l'homme parfait" dans l'école de l'Islam, et cela suffit pour montrer sa grandeur.

Le combat d'Abû Tharr pour la liberté et surtout pour la défense des laissés-pour-compte est toujours d'actualité. La même situation qui le conduisit à réunir autour de lui, en Syrie et à Médine, les nécessiteux et les opprimés pour les inviter à défendre leurs droits fondamentaux et à dénoncer les injustices dont ils étaient victimes, se répète ça et là de nos jours.

Les Musulmans des quatre coins du monde se rappellent aujourd'hui ses mots fascinants, ses vues justes et ses discours enflammés. On peut dire qu'ils sont en train de revoir à travers cette histoire lointaine comment il avait rassemblé les opprimés et les dépossédés dans le masjid et attisé leurs sentiments contre les habitants des Palais verts et l'administration corrompue de `Othmân, en s'écriant:

"Annonce un châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent l'or et l'argent sans rien dépenser dans le chemin d'Allah". (Sourate al-Tawbah, 9:34)

"O Mu`âwiyeh! Si tu construis ce palais avec ton propre argent, c'est un gaspillage, et si tu le construis avec l'argent du Trésor Public, c'est un abus de confiance!

"O `Othmân! Ces pauvres sont devenus plus pauvres à cause de toi, et ces riches sont devenus plus riches, grâce à toi".



Chapitre 1

Avant la découverte de l'Islam

Abû Tharr était un des Compagnons du Prophète de l'Islam (P) connu pour son amour de la liberté et son bon caractère, et selon le Saint Prophète, il faisaient partie de ceux que le Ciel et ses Habitants désiraient ardemment. Il bénéficia de la Compagnie du Prophète au sens réel du terme.

Abû Tharr disait lui-même: «Mon vrai nom est Jundab Ibn Junadah, mais après ma conversion à l'Islam, le Saint Prophète m'a donné le nom de "`Abdullâh", et c'est le nom que j'aime le plus». Abû Tharr était donc sa "kuniyah" (surnom) tiré du nom de son fils aîné Tharr.

Les historiens s'accordent pour affirmer qu'Abû Tharr était le fils d'Ibn Qays Çaghîr Ibn Hazm Ibn Ghifâr et que sa mère s'appelait Ramlah Bint (fille de) Waqî`ah Ghifâriyah. Il était arabe de race et appartenait à la tribu Ghifâr. De là, le mot "Ghifârî" qui suit son surnom.

`Abdullâh al-Subaytî écrit: «Lorsque nous étudions la biographie d'Abû Tharr, nous constatons qu'il était la lumière personnifiée et l'incarnation des qualités d'un grand homme. Il avait la rare distinction d'être doué d'une intelligence remarquable, d'une faculté de perception exceptionnelle, d'une sagacité notable et d'un esprit vif». Selon l'Imam Ja`far al-Çâdiq: «Il était toujours plongé dans la pensée, et ses prières étaient fondées sur ses réflexions sur Allah» (Çahîh Muslim).

Dans son livre "Al-Ichtirâkî al-Zâhid" (Le socialiste ascète), le célèbre écrivain égyptien, `Abdul Hamîd Jawdat-us-Sahar écrit: «Lors d'une période de grande famine, les chefs de la tribu de Ghifâr se réunirent pour concerter et réfléchir au moyen de faire face à la terrible situation, due à la longue absence de pluie et dans laquelle les bêtes étaient devenues décharnées et maigres, et les provisions et les stocks épuisés. Dans cette réunion, on se demandait: "Pourquoi notre dieu (l'Idole Manât) s'est-il fâché contre nous, alors que nous avons prié pour la descente de la pluie, sacrifié des chameaux en offrande et fait tout notre possible pour gagner sa faveur? La saison de pluie arrive à son terme. Pourtant il n'y a pas trace d'un nuage dans le ciel. Il n'y a eu ni tonnerre ni averse ces temps-ci, ni même une goutte de pluie ou une bruine! Que faut-il penser? Sommes-nous devenus si pervers pour mériter la colère de dieu? Pourquoi se sent-il si en colère contre nous, alors que nous avons offert tant de sacrifices pour lui faire plaisir?"

»Les gens se mirent à réfléchir sur le sujet et à échanger leurs vues. Ils pensèrent: "L'homme ne peut rien contre la volonté du ciel. Personne ne peut faire venir des nuages et de la pluie du ciel. Seul "Manât"en est capable. C'est pourquoi, nous n'avons d'autre alternative que de sortir, hommes et femmes, pour le pèlerinage, afin de prier et d'implorer le pardon de "Manât". Peut-être nous pardonnera-t-il et fera-t-il descendre la pluie pour que la terre redevienne verte après la période de stérilité, notre pauvreté se transforme en prospérité, notre malheur en bonheur et nos difficultés en aisance et confort.

»Aussi toute la tribu commença à préparer une journée de prière et un voyage auprès de Manât. Ceux qui dormaient se réveillèrent et accoururent pour installer les litières sur leurs chameaux. Unays (le frère d'Abû Tharr) enfourcha lui aussi son chameau pour rejoindre la caravane qui se dirigeait déjà vers les côtes de la mer, Mushalsal et Qadîd qui relient la Mecque et Médine et où se dressait Manât. Unays cherchant autour de lui son frère et ne le trouvant pas fit s'asseoir son chameau et courut à pied pour voir s'il était resté à la maison. En y arrivant, il cria: «Jundab! Jundab!». Lorsqu'il vit son frère allongé tranquillement sur son lit, il lui dit, étonné:

- N'as-tu pas entendu "l'appel" au voyage?

- Si, mais que dois-je faire lorsque je me sens fatigué et que de plus je n'ai pas envie d'aller en pèlerinage à Manât, répondit Abû Tharr.

- Tais-toi! Demande pardon au dieu. Ne craints-tu pas qu'il t'entende et qu'il envoie sur toi son courroux? le gronda Unays.

- Mais es-tu sûr que Manât puisse nous entendre et nous voir? lui rétorqua Abû Tharr.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive aujourd'hui? Un génie a-t-il eu raison de ton esprit? Ou bien es-tu malade? Viens! Repens-toi. Peut-être dieu acceptera-t-il tes remords, lui dit Unays.

Voyant Abû Tharr rester dans son lit, son frère le hâta: «Lève-toi. La caravane est partie. La tribu s'éloigne».

Alors que les deux frères discutaient, leur mère arriva. Ils se turent.

- La mère: Mes fils, quelles sont vos opinions?»

- Unays: A propos de quoi? Mère.

- La mère: A propos de la pluie.

- Unays: Nous sommes d'accord avec ce que tu suggérerais.

- La mère: Je propose que vous alliez voir votre oncle maternel qui est un homme riche.

- Unays: D'accord. Comme tu voudras. Que dieu améliore notre condition !

Abû Tharr et Unays accompagnés de leur mère, se rendirent chez leur oncle. Celui-ci les accueillit avec grande hospitalité. Ils restèrent chez lui pendant longtemps. Le confort et le plaisir y remplacèrent les difficultés et la peine dans lesquelles ils se débattaient jadis. Lorsque les membres de leur tribu apprirent que leur oncle se montrait très bon envers ses deux neveux et qu'il les aimait comme ses propres fils, ils furent pris de jalousie et décidèrent de préparer un plan en vue de le faire se détacher d'eux. Ils réfléchirent ensemble sur les différents moyens de parvenir à leurs desseins perfides, et ils finirent par choisir un homme pour exécuter le plan de leur conspiration.

Cet homme alla voir l'oncle d'Abû Tharr et s'assit à ses côtés calmement, la tête baissée. L'oncle d'Abû Tharr lui demanda: «Comment vas-tu?». L'homme affecta un air triste et dit: «Je suis venu te voir pour une affaire importante. Si je n'avais pas une grande affection et un grand respect pour toi, je ne te dirais rien. Mais ma loyauté m'a obligé à venir pour t'en parler. Je voudrais te réveler ce que tu ignores afin que tu puisses voir toi-même ce qui se passe, car je vois que les faveurs que tu fais à certains sont récompensées par l'ingratitude».

L'oncle d'Abû Tharr sentit que quelque chose allait mal. Il s'inquiéta et dit: «Parle franchement et dis-moi tout». L'homme dit: «Comment pourrais-je te dire que lorsque tu sors de la maison, ton neveu Unays, tient compagnie à ta femme et lui parle secrètement. Je ne saurais te dire ce qu'il lui dit».

L'oncle d'Unays protesta: «C'est une fausse accusation contre lui, et je ne crois pas du tout à ton insinuation». L'homme répondit: «Nous aussi, nous aurions voulu que ce soit une fausse allégation et une pure calomnie. Mais malheureusement, je suis obligé d'affirmer, que c'est la vérité».

L'oncle d'Unays lui demanda de lui fournir une preuve à l'appui de cette accusation. L'homme répondit: «Toute la tribu peut en témoigner. Tout le monde l'a vu et a le même sentiment. Si tu le désires, je pourrais te fournir d'innombrables témoignages de ma tribu».

Ayant entendu ces propos, le pauvre oncle commença à penser à son honneur et à son prestige. Il se sentit blessé dans sa dignité. L'homme sortit de chez lui après lui avoir fait cette révélation abjecte qui laissa sur lui l'effet d'une morsure de serpent.

L'oncle d'Unays était maintenant convaincu de la véracité de l'accusation. Il fit beaucoup d'effort pour garder son sang-froid et son esprit en paix, mais en vain. Il se sentait, jour et nuit, triste, angoissé et comme siasi d'épouvanteau. Chaque fois que son neveu se trouvait devant lui, il détournait son visage. Un silence pesant régnait sur toute la maison.

Lorsqu'Abû Tharr remarqua les traits de tristesse envahissant le visage de son oncle, il lui demanda: «Cher oncle! Qu'est-ce qui t'est arrivé? J'ai remarqué que tu as changé depuis quelques jours. Tu nous parles très peu, contrairement à l'habitude, et tu as l'air très pensif et dépressif».

L'oncle répondit: «Il n'y a rien d'anormal». Abû Tharr insista: «Non, il y a certainement quelque chose. Dis-moi s'il te plaît ce qui ne va pas. Peut-être pourrais-je te débarrasser de tes ennuis ou partager une partie de tes angoisses».

L'oncle dit: «Je ne peux pas décrire ce que les hommes de ma tribu m'ont appris».

Abû Tharr revint à la charge: «S'il te plaît, dis-moi ce qu'ils t'ont rapporté».

Son oncle finit par céder: «Ils disent que Unays rencontre ma femme quand je sors de la maison».

Ayant entendu ces calomnies, Abû Tharr sentit le sang lui monter au visage et devint rouge de colère: «Tu viens de gâcher toutes les faveurs que tu nous as faites. Nous partirons tout de suite et nous ne te reverrons plus jamais».

Ils quittèrent ainsi leur oncle et s'établirent à "Batn Marwa", près de la Mecque. C'est là qu' Abû Tharr découvrit l'apparition du Prophète dans la ville de la Mecque. Il s'intéressa vivement à cet événement et voulut absolument en savoir plus. Un jour, il demanda à son frère Unays d'aller à la Mecque et de trouver des renseignements sur le Prophète.

Unays était sur le point de partir pour la Mecque lorsqu'on vit venir un homme qui se dirigea directement vers la maison d'Abû Tharr. «D'où viens-tu?» lui demanda Abû Tharr. «Je viens de la Mecque», répondit l'homme. «Quelle est la situation là-bas?», demanda encore Abû Tharr. «On y parle d'un homme qui se dit être prophète et recevoir des révélations du ciel» dit l'homme. Abû Tharr poursuivit: «Qu'ont fait les Mequois de lui?». «Ils l'ont démenti, torturé et ils ont mis les gens en garde de le rencontrer. Ils menacent et terrorisent quiconque le voit», répondit l'homme. «Pourquoi les gens ne le croient-ils pas?» interrogea Abû Tharr. «Comment le croiraient-ils alors qu'il vilipende leurs dieux, les traitent de stupides et qualifie leurs ancêtres de pervers!», répondit l'homme. «Il dit cela vraiment?» demanda Abû Tharr intéressé. «Ah oui. Et il dit que Dieu est Un...», confirma-t-il.

Abû Tharr se mit à réfléchir à propos de l'homme qui avait dit que Dieu est UN. Il continua à penser pendant un certain temps. Le visiteur le regarda et le trouvant pensif, il prit congé et partit.

Après son départ, Abû Tharr s'adressant à son frère, lui dit: «Va à la Mecque et essaie de trouver cet homme. Il affirme qu'il reçoit des révélations du Ciel. Quel est le mode de sa conversation? Vois s'il est sincère ou non dans ses paroles».

Unays entreprit le voyage. Après avoir traversé différentes stations, il arriva à la Mecque et se dirigea vers la Ka`bah pour accomplir les rites de pèlerinage. Lorsqu'il sortit de la Ka`bah, il vit un attroupement. Il demanda à un homme qu'il croisa: «Qu'est-ce qu'il y a là?». L'homme répondit: «Un apostat qui appelle les gens à une nouvelle foi».

Dès que Unays entendit ceci, il accourut vers le lieu de rassemblement. Une fois sur place, il vit un homme dire: «Louanges à Allah! Je fais Ses louanges et Lui demande secours. Je crois en Lui, je dépends de Lui et j'atteste qu'il n'y a de Dieu, en dehors de Lui, IL est sans partenaire».

Selon le récit d'al-Subaytî, Unays entendit cet homme proclamer: «O gens! Je vous ai apporté les bénédictions de ce monde et de l'autre monde. Dites qu'il n'y a pas de dieu, sauf Allah pour que vous soyez délivrés. Je suis le Messager d'Allah et je suis envoyé pour vous. Je vous mets en garde contre la punition du Jour du Jugement. Rappelez-vous que personne ne sera sauvé, en dehors de ceux qui se présentent devant Allah avec un coeur humble. Ni les riches ne vous seront d'aucun secours, ni vos enfants ne pourront rien pour vous. Craignez Allah, IL sera bon envers vous. O gens! Ecoutez-moi! Je dis clairement que vos ancêtres avaient dévié du droit chemin en adorant ces idoles et vous aussi vous êtes en train de suivre leurs traces. Rappelez-vous que ces idoles ne peuvent ni vous nuire ni vous être utiles. Elles ne peuvent ni vous arrêter ni vous guider».

Unays fut étonné par le discours éloquent du Prophète (Ç), mais il fut aussi surpris d'entendre les gens autour de lui tenir différents propos contre le Messager d'Allah.

Celui-ci ayant entendu ces attaques, dit: «Les prophètes ne mentent pas. Je jure par Allah en dehors Duquel il n'y a pas de dieu, que j'ai été envoyé pour vous comme messager. Par Allah vous mourrez comme si vous dormiez et vous serez ressuscités comme si vous vous réveilliez. Vous serez rappelés par Allah pour rendre des comptes sur vos actes. Après quoi, vous entrerez éternellement, selon le verdict, en Enfer ou au Paradis».

En entendant ces paroles, les gens demandèrent au Prophète (Ç) comment ils seraient ressuscités après s'être transformés en sable!

Là, Allah révéla les Versets suivants: «Mohammad! Réponds: «Soyez pierre ou fer ou toute chose créée que vous puissiez concevoir...» «Ils diront: «Qui donc nous fera revenir?». Ils secoueront la tête vers toi et ils diront: «Quand cela se produira-t-il?». Réponds: «Il se peut que ce soit bientôt». (Sourate al-Isrâ', 17: 50 - 51)

Dès que le Saint Prophète finit son discours, les gens se levèrent. Et alors qu'ils se dispersaient, l'un d'eux dit: «C'est un devin». Un autre: «Non, c'est un poète». Un troisième: «C'est un magicien».

Unays qui avait écouté les prêches du Prophète (Ç) et les commentaires des gens, baissa la tête pendant un moment et murmura: «Par Allah! Sa parole est agréable. Ce qu'il a dit est vrai et les gens qui l'ont dénigré sont certainement stupides».

Puis, il enfourcha son chameau et repartit. Il continua à penser à Mohammad (Ç), le Prophète d'Allah, tout au long du voyage, et à se rappeler son discours jusqu'à ce qu'il rejoignît

Abû Tharr.

Dès que ce dernier le vit, il lui demanda avec enthousiasme et impatience: «Qu'as-tu vu à la Mecque?»

- Unays: «J'ai vu l'homme qui dit: "Dieu est Un". Je l'ai entendu ordonner aux gens de faire le bien et de s'abstenir du mal».

- Abû Tharr: «Que disent les gens à son propos?»

- Unays: «Ils disent qu'il est poète, magicien, et devin. Mais lorsque j'ai examiné sa parole du point de vue poétique, j'ai constaté qu'il n'est pas un poète. Il n'est ni magicien - car j'avais vu des magiciens - ni un devin - car j'avais rencontré des devins, lesquels n'ont rien de commun avec lui.»

- Abû Tharr: "Que fait-il et que dit-il?"

- Unays: "Il dit des choses merveilleuses."

- Abû Tharr: "Te rappelles-tu ce qu'il disait?"

Unays: "Par Allah! Son discours était très agréable, mais je ne me rappelle pas plus que je t'en ai dit. Cependant, je l'ai vu accomplir certaines prières à la Ka`bah et j'ai vu aussi un beau garçon, pré-adolescent, accomplir la prière à côté de lui. Les gens disent que c'est son cousin `Ali. J'ai vu également une femme prier derrière lui, et on dit qu'elle est sa femme Khadijah».

  Chapitre 2 
A la recherche du Prophète (P)

Après avoir écouté son frère, Abû Tharr dit: «Je ne suis pas satisfait de ton rapport. Je dois y aller moi-même pour le voir et l'écouter».

Abû Tharr effectua le voyage, arriva à la Mecque, entra dans l'enceinte de la Ka`bah et se mit à la recherche du Saint Prophète. Mais il n'y en trouva pas de trace et il n'en entendit pas parler non plus. Il resta là, cependant, jusqu'au coucher du soleil. Finalement, `Ali passa devant lui, et le voyant assis là, lui demanda: «Tu as l'air d'un voyageur. N'est-ce pas?»

- Abû Tharr: "Si!"

- `Ali: Viens avec moi.

`Ali l'amena chez lui. Ils marchèrent tous les deux sans échanger de paroles. Abû Tharr ne lui avait rien demandé avant d'arriver à la maison. Là, `Ali prépara la chambre d'Abû Tharr et celui-ci alla se coucher. Le lendemain matin, Abû Tharr repartit à la Ka`bah à la recherche du Prophète (Ç). Il ne demanda à personne où pourrait se trouver le Prophète et personne ne lui en parla. Il attendit là avec anxiété jusqu'à la fin de la journée. `Ali arriva à la Ka`bah comme d'habitude et passa devant lui. Dès qu'il vit Abû Tharr, il lui demanda: «N'as-tu pas pu rentrer chez toi jusqu'à maintenant?»

- Abû Tharr: "Non!"

- "`Ali: Bon! Viens alors avec moi."

Alors qu'ils se dirigeaient à la maison sans se parler, Ali lui demanda:

-«Pourquoi es-tu venu ici?»

-Abû Tharr: "Je peux t'en dire la raison, si tu me promets de la garder pour toi."

- Ali: "Parle franchement sur tout ce que tu voudras. Je n'en dirai rien à personne."

- Abû Tharr: "Je viens d'apprendre l'apparition d'un homme qui se dit être prophète. J'avais envoyé mon frère pour parler avec lui, mais il est revenu sans pouvoir me fournir des informations satisfaisantes sur lui. A présent, je suis déterminé à le voir moi-même."

- Ali: "Cela tombe bien. Je vais justement le voir. Suis-moi. Entre là où j'entre. Si je pressens le moindre danger, je poserai mon soulier droit en restant debout près du mur. Quand je ferais ce geste, tu devras revenir sur tes pas."

Abû Tharr raconte: «Ali m'a emmené dans une maison où j'ai vu une lumière personnifiée. Dès que j'ai aperçu cet homme entouré d'un halo de lumière, j'ai été attiré vers lui et j'ai senti le désir de me jeter à ses pieds. Je l'ai salué en lui disant: «As-Salâm `Alaykum"[il était le premier homme saluant le Prophète de l'Islam d'une manière islamique avant d'avoir embrassé l'Islam].

Répondant à sa salutation, le Prophète lui dit: «Wa `Alaykum as-Salâm wa Rahmat-ullâhi wa Barakâtoh». Et de demander tout de suite: «Oui, que désires-tu?»

Abû Tharr répondit: «Je viens vers toi dans l'intention d'embrasser la foi». Le Prophète lui fournit quelques informations nécessaires et lui demanda de réciter la Formule de la conversion: «Lâ ilâha il-lal-lâh, Muhammadun Rasûl-ul-lâh».

Abû Tharr s'exécuta volontiers et entra ainsi au sein de l'Islam.

Puis, il prit congé du Saint Prophète et se dirigea vers la Ka`bah. En y arrivant, il vit un grand rassemblement d'infidèles Quraychites; il s'écria à leur adresse à haute voix: «O vous les Quraych! J'atteste qu'Allah est Un et que Mohammad est Son Prophète».

Cette voix effraya les Quraych, car elle sonna comme une insulte adressée à leurs dieux et ternit l'image de leurs "Lât" et "`Uzzâ". Ils furent profondément perturbés en ayant le sentiment que la dignité de leurs idoles étaient bafouée. Aussi, encerclèrent-ils Abû Tharr et se mirent-ils à le frapper si fort qu'il s'évanouit. Il serait bientôt mort sans l'arrivée soudaine de `Abbâs Ibn `Abdul al-Muttalib. Lorsque celui-ci vit qu'un dévoué de Mohammad était sur le point de mourir et ne pouvant pas le délivrer lui-même, il s'écria: «o gens! Que vous arrive-t-il? Vous êtes en train de tuer un grand homme de la tribu de Banî Ghifâr. Avez-vous oublié que vous entretenez des rapports commerciaux avec les gens de cette tribu et que vous leur rendez visite souvent. N'avez-vous pas peur de sa tribu?»

En écoutant ces paroles les gens cessèrent de lyncher Abû Tharr et se dispersèrent. Après leur départ, Abû Tharr qui baignait dans son sang quitta le lieu, et traînant ses pas, se dirigea vers le puits de Zamzam.

Il avait très soif en raison de ses blessures profondes et la perte du sang. Aussi se mit-il à étancher sa soif d'abord, et de se nettoyer par la suite. Puis, il alla voir le Saint Prophète en gémissant. Lorsque le Prophète (Ç) le vit dans cet état lamentable, il fut affligé et lui demanda; «As-tu mangé ou bu quelque chose?»

- Abû Tharr: Maître! Je me suis senti un peu soulagé après avoir bu l'eau de Zamzam.

- Le Prophète: Il ne fait pas de doute que cette eau soulage.

Par la suite le Prophète essaya de consoler Abû Tharr et de lui offrir à manger.

Bien qu'Abû Tharr eût beaucoup souffert à cause de sa parole lancée aux visages des Quraych, sa ferveur religieuse ne lui permit pas de baisser les bras et de retourner dans son pays. Sa foi solide l'appelait à convaincre les Quraych que l'intelligence et l'entendement humains dédaignent la superstition et l'idolâtrie.

Il prit congé du Saint Prophète et se rendit à nouveau à l'enceinte de la Ka`bah. Là, il se mit sur un lieu élevé et se mit à prêcher: «O les Quraych! Ecoutez-moi. J'atteste qu'il n'y a de dieu qu'Allah et que Mohammad est le Messager d'Allah».

Mais en l'entendant, ces pervers qui avaient été déjà très choqués par le précédent discours d'Abû Tharr, sentirent s'ébranler la fondation de leurs dieux. Aussi se rassemblèrent-ils autour de lui en criant à tue-tête: «Tuez ce Ghifâri sans tarder, puisqu'il se permet d'insulter nos dieux».

Toute l'assemblée cria d'une seule voix: «Tuons Abû Tharr». Les gens se mirent à le battre si fort qu'il perdit connaissance.

`Abbâs Ibn Abdul al-Muttalib s'avança en voyant la scène, se jeta sur lui pour le protéger, comme la dernière fois, et dit: «O Quraych! Que vous arrive-t-il pour vouloir tuer un Ghifâri, alors que vous entretenez de bonnes relations avec sa tribu et que votre commerce se trouve florissant grâce à l'aide de sa tribu? Ecartez-vous! Que personne ne le touche plus».

Là encore, tout le monde fut sensible à l'argument d'al-`Abbas, et lâcha Abû Tharr, le laissant dans le coma. Lorsque ce dernier reprit connaissance, il se rendit au puits de Zamzam, pour boire de l'eau et pour nettoyer son corps taché de sang.

Selon `Abdullâh al-Subaytî, bien qu'Abû Tharr ait souffert encore de ses blessures, il continua ses prêches, conduisant les Quraych à penser que l'Islam se répandait autour d'eux, ce qui les inquiéta sérieusement.

En bref, Abû Tharr quitta le puits de Zamzam et se rendit chez le Saint Prophète. Lorsque celui-ci le vit dans cet état pitoyable, il lui dit: «O Abû Tharr! Où étais-tu et pourquoi es-tu dans cet état?». Abû Tharr répondit: «Je suis allé à la Ka`bah de nouveau. J'y ai fait un prêche et pris un bain de sang. Maintenant je viens auprès de toi, après m'être lavé avec l'eau de Zamzam».

Le Saint Prophète lui dit: «Abû Tharr! A présent, je t'ordonne de retourner dans ta ville tout de suite. Ecoute! Lorsque tu arriveras chez toi, ton oncle sera déjà mort. Et puisqu'il n'a d'autre héritier que toi, tu seras son unique successeur et le propriétaire de sa fortune. Dépense celle-ci pour la propagation de l'Islam. Bientôt j'émigrerai de la Mecque pour la ville des dattiers. Tu dois continuer ta tâche chez toi jusqu'à ce que j'eusse émigré». Abû Tharr dit: «Oui, mon maître. C'est très bien. Je vais partir rapidement pour m'occuper de la propagation de l'Islam».(1)


Chapitre 3 
De Retour dans sa tribu

Après avoir embrassé l'Islam, Abû Tharr quitta la Mecque pour son pays. Selon `Abdullâh al-Subaytî, lorsque, Abû Tharr prit congé du Prophète, il était débordant de foi et l'Islam l'avait imprégné complètement. Il commença dans sa ville, sa tâche avec grande joie. Il était très content qu'Allah l'eût guidé vers une foi acceptée par les esclaves, une foi qui satisfait la conscience et que la raison accueille de bon coeur.

Lorsqu'il arriva dans sa ville, le premier homme qu'il salua fut son frère Unays, lequel fut aussi le premier à être éclairé par la lumière de sa foi. Unays s'avança vers son frère pour se jeter à ses pieds en disant: «O frère! Tu as passé plusieurs jours à la Mecque. Dis-moi ce que tu y as fait».

Abû Tharr répondit: «Unays! Je suis arrivé à la conclusion que tire toute raison saine. Après mûres réflexion, j'ai compris que je dois accepter la foi de Mohammad. O Unays! Je ne peux te décrire ce que j'ai senti lorsque j'ai rencontré Mohammad et regardé son visage! J'ai eu la sensation que ma poitrine se dilatait. Mon coeur était débordé de joie. J'ai tout de suite récité la formule de la Foi, ai reconnu sa mission prophétique et demandé à apprendre les enseignements islamiques. Ainsi, le Saint prophète m'a expliqué les principes de l'Islam. O Unays! Je te demande honnêtement et en toute sincérité de t'incliner, humblement devant Allah et de cesser l'adoration de ces dieux en pierres, fabriqués par les mains de l'homme».

Lorsque Unays entendit tout cela, il s'assit, la tête baissée, et se mit à réfléchir. Il se plongea dans un tel état de méditation qu'il se sentait comme intoxiqué. Il se rappela tout ce qu'il avait entendu et vu lui-même à la Mecque. Après un certain temps il revint à lui et dit à son frère: «O frère! Mon esprit confirme ta véracité et ma raison me dit de ne pas te désobéir. Écoute-moi donc! J'atteste qu'il n'y a de dieu qu'Allah et que Mohammad est le Messager d'Allah».

Abû Tharr fut très heureux de la conversion de son frère Unays. Aussi, lui dit-il: «Maintenant, allons voir notre mère».

Et ils se rendirent tous les deux chez leur mère. Saluant sa mère, Abû Tharr dit: «Chère mère! Je te demande pardon! J'étais loin de toi pendant longtemps. Mais je t'ai apporté un trésor que personne ne possède ici».

Sa mère lui demanda: «Quel est ce trésor qui t'a éloigné de moi?». Abû Tharr répondit: «C'est le trésor de la foi, mère! J'ai rencontré à la Mecque une personne dont le visage rayonne de noblesse. Il est inégalable en bonnes moeurs et en magnanimité. Il dit ce qui est vrai et ce qui est juste. Il ne fait que ce qui est juste. Il y a une sagesse dans ses mots. Mère! Même ses ennemis l'appellent le "Véridique", le "digne de confiance". Il appelle les gens à Allah, le Créateur des cieux et de la terre, et l'Organisateur de l'existence de cet Univers. J'ai eu foi en lui après avoir été influencé par sa conduite, ses affirmations et ses paroles. Unays aussi est devenu Musulman. Nous avons reconnu l'Unicité d'Allah et la Prophétie de Mohammad».

La mère d'Abû Tharr lui dit: «Mon fils! Si c'est ainsi, j'atteste, moi aussi, qu'il n'y a de dieu qu'Allah et que Mohammad est le Messager d'Allah».

Abû Tharr était ravi de voir son frère et sa mère embrasser sa foi, et il se mit à réfléchir au moyen de persuader les gens de sa tribu de se mettre sur le Droit Chemin.

Après une longue discussion, Abû Tharr partit avec son frère et sa mère, pour camper tout près des tentes de leur tribu. La nuit tomba. Alors qu'ils étaient allongés sous leurs tentes pour se remettre de leur fatigue due au voyage, ils entendirent quelques hommes de leur tribu qui se trouvaient là se raconter des histoires et relater différents événements. Ils étaient occupés à d'interminables conversations.

Lorsqu'Abû Tharr tendit l'oreille pour savoir de quoi ils parlaient, il comprit qu'il était le sujet de leur discussion. Par la suite, ces hommes se levèrent et se dirigèrent vers sa tente. Abû Tharr dit à son frère Unays: «Les hommes de la tribu s'approchent de notre tente. Sors pour les voir».

Unays sortit tout de suite. Il vit quelques jeunes hommes de sa tribu rassemblés là. Ils se dirigèrent vers lui. Ils le saluèrent. Après avoir répondu à leur salutation, Unays leur demanda le motif de leur visite. Ils répondirent: «Nous sommes venus simplement pour vous voir tous les deux».

Unays rentra dans la tente et dit à Abû Tharr: «Les jeunes de la tribu sont venus pour en savoir plus sur notre voyage». Abû Tharr dit: «Fais-les entrer. Je vais leur parler. Peut-être réussirais-je à en faire des adorateurs d'Allah, l'Unique

Unays ressortit et dit aux jeunes: «Entrez! Mon frère Abû Tharr vous attend».

Ils entrèrent tous. L'un d'eux dit: «O Abû Tharr! Nous ne t'avons pas vu depuis longtemps, ce qui nous a beaucoup attristés». Abû Tharr dit: «Chers jeunes gens! J'ai beaucoup d'affection et de sympathie pour vous dans mon coeur».

- Un jeune homme: Abû Tharr! Où étais-tu depuis si longtemps? Nous ne pouvions pas te joindre depuis quelque temps.

- Abû Tharr: J'étais allé à la Mecque. J'en suis revenu depuis quelques jours.

- Un autre homme: Nous sommes contents que tu sois allé à la Mecque.

- Abû Tharr: Je suis allé à la Mecque, mais je n'y ai évidemment pas offert de sacrifice à Hubâl ni ne me suis prosterné devant "Lât" et "`Uzzâ". Chers jeunes gens! Pourquoi aurais-je fait de telles cérémonies devant ces idoles qui n'ont pas de vie et qui ne peuvent faire ni de bien ni de mal à personne? Elles ne peuvent ni voir ni entendre, ni parer à une calamité qui s'abattrait sur elles. Ecoutez-moi bien! Je recours à Allah dans toutes mes actions et affaires. IL est certainement Unique et sans égal ni partenaire. J'atteste qu'Allah est le Seul à être digne d'adoration. IL est le Créateur de toutes choses et le Nourricier de toutes les créatures. Je vous demande donc de vous joindre à nous dans notre plan d'action et de reconnaître l'Unicité d'Allah comme nous».

En entendant ce discours inouï, tout le monde se mit à trembler. L'un des visiteurs dit avec étonnement: «O Abû Tharr! Que dis-tu là?!».

Abû Tharr reprit: Ecoutez bien ce que je vais vous dire. Bien que je ne puisse voir Allah avec mes yeux, je Le vois partout avec mon oeil intérieur. On peut Le voir à travers toutes les choses dans le monde. Réfléchissez bien! Comment un objet peut-il être digne de faire l'objet de l'adoration de l'homme, alors qu'il est fait avec les mains de l'homme? Il n'est pas raisonnable d'adorer des idoles faites de pierre et de bois, et de les implorer de satisfaire nos besoins! Chers frères! Vous n'êtes pas sans savoir que ces idoles n'ont aucun pouvoir. Elles ne peuvent ni éloigner un malheur ni apporter le bien».

Une fois ces exhortations d'Abû Tharr terminées, les jeunes gens échangèrent des propos à voix basse. L'un d'eux dit: «J'ai déjà appris qu'un homme était apparu à la Mecque; il se dit être prophète et appelle les gens à adorer Allah l'Unique. Abû Tharr l'a rencontré et était si touché par ses prêches, que toute idée qu'il présente, provient de cet homme-là». Un autre jeune dit: «La situation est très grave. Nous nous exposons au danger à cause de la personnalité et des prêches d'Abû Tharr. Nous sentons que s'il continue à prêcher de la sorte, des différends surgiront à l'intérieur de notre tribu et des vies humaines seront menacées. Il vaut mieux donc aller chez Khafâf, le chef de notre tribu pour lui parler des dangers que nous courons, et lui demander avec insistance de prêter toute l'attention nécessaire afin de les prévenir».

Les jeunes gens de la tribu de Ghifâr prirent congé d'Abû Tharr et partirent pour se rendre chez Khafâf. Chemin faisant, ils échangèrent leurs vues. L'un d'eux dit; «Abû Tharr a provoqué un grand trouble».

Un autre renchérit: «Ce sera honteux pour nous d'ignorer ce grand péché d'Abû Tharr. Il a ouvertement outragé notre religion et ridiculisé nos dieux».

Un troisième ajouta: «Il faut le chasser de notre tribu dans les plus brefs délais, car si nous tardions à l'excommunier, il pourra profiter de ce répit pour laver le cerveau de nos jeunes hommes, nos femmes, et nos esclaves, et leur inculquer ses idées subversives, auquel cas ce serait trop tard pour réagir».

Un quatrième jeune dit: «Ton point de vue est juste. Mais qui va attacher le grelot? Abû Tharr n'est pas un homme quelconque. C'est un grand de la tribu et l'aîné de la famille. Par ailleurs, Unays aussi a les mêmes idées que lui, et lui aussi est un homme de grande renommée».

Un cinquième jeune intervint sur un ton rassurant: «Il n'y a pas de quoi s'alarmer. Venez! On va soumettre l'affaire à Khafaf. Nous sommes sûrs que lui et les autres dignitaires de la tribu vont l'expulser eux-mêmes de la tribu».

Un sixième objecta: «Je suis en train de réfléchir sur les idées d'Abû Tharr et de son frère. Je ne suis pas sûr que l'on puisse les faire changer d'avis. Il est possible qu'ils reviennent d'eux-mêmes sur le droit chemin. Nous ne devons pas être perturbés, mais nous devons quand même réfléchir sur leur religion. Ecoutez! J'ai senti qu'il y a du vrai dans leur foi. En tout cas, nous sommes sur le point d'arriver chez Khafaf. Nous parviendrions bien à une conclusion finale après avoir discuté avec lui».

Bref, alors qu'ils continuèrent à discuter, ces gens arrivèrent chez le chef des Ghifâr et lui dirent: «Nous venons de chez Abû Tharr pour te voir».

Khafaf: Abû Tharr est-il revenu de son voyage à la Mecque?

Un homme répondit: Monsieur! Abû Tharr est retourné pervers. Il ridiculise nos dieux. Il dit qu'un homme a été assigné comme prophète, dont le devoir est d'appeler les gens à l'adoration du Dieu l'Unique et de leur dispenser des enseignements religieux. Abû Tharr ne se contente pas de reconnaître son prophète et de garder cela pour lui, mais il prêche constamment chez les masses et les invite à rejoindre ce prophète et son Dieu».

Lorsque Khafaf entendit ce rapport, il dit: «Il est dommage qu'Abû Tharr abandonne tous les dieux pour propager l'adoration d'un Dieu Unique. C'est très mal et répugnant. Je prévois que cela provoquerait de sérieuses agitations dans notre tribu, causant sa destruction. O jeunes hommes! Pas de précipitation! Laissez-moi un peu de temps pour que je puisse réfléchir mûrement sur le cas d'Abû Tharr».

Après le départ de ces jeunes gens, Khafaf, le chef de la tribu, se mit à réfléchir et à chercher la raison pour laquelle tous ces jeunes étaient contre Abû Tharr. Il pensa à ce sujet toute la nuit dans son lit. Il était très déconcerté et ne put pas se former une opinion définitive sur la question. Mais dans son esprit, il avait une impression profonde de partager les opinions d'Abû Tharr. Il passa ainsi une nuit blanche, se contentant de fermer et d'ouvrir les yeux. Il se rappela en même temps un discours du philosophe arabe, Qays Ibn Sâ`idah, sur la place du marché. Ce philosophe avait dit que le Créateur de l'Univers est indubitablement Un et qu'IL est le Seul à mériter l'adoration. Il avait corroboré entièrement les points de vue d'Abû Tharr dans son remarquable discours, et avait par ailleurs mentionné que les idées de Warqa' Ibn Nawfal, Zayd Ibn `Amr, `Othmân Ibn Huwâreth et `Abdullâh Ibn Hajach avaient changé et que chacun de ceux-ci avait un penchant pour la foi d'Abû Tharr.

Alors qu'il était plongé dans cette situation embarrassante, un éclair illumina son esprit et il se dit: «En fait, Abû Tharr a raison parce que Qays Ibn Sâ`idah l'a soutenu et je suis sûr que ce dernier ne saurait se tromper ni accepter une fausse croyance. Il faut qu'il y ait indubitablement un réformateur pour ce monde, et qu'il existe un Etre Qui fait tourner le système de l'univers. Il est évident que nos dieux de pierre et de bois sont à mille lieues d'avoir de telles qualifications. O Dieu d'Abû Tharr! Guide-nous, délivre-nous de cette perversion, et remets-nous sur le droit chemin».

Pendant que Khafaf réfléchissait à la décision importante qu'il avait à prendre, le jour se leva et le soleil commença à répandre sa lumière. Avec l'apparition du soleil, les nouvelles du retour d'Abû Tharr, de sa conversion à l'Islam, ainsi que de celle de son frère et de sa mère se répandirent comme une traînée de poudre.

Une fois ces nouvelles répandues, des agitations commencèrent. Les gens se mirent à injurier Abû Tharr en disant: «Il est devenu fou et incapable de comprendre que ce sont ces idoles qu'il méprise, qui nous guérissent, nous fournissent la nourriture et nous protègent. Abû Tharr est un homme bizarre qui nous invite à adorer un Dieu Invisible. On dirait qu'il veut créer des troubles et des perturbations au sein de notre jeunesse, et dévier nos enfants et nos femmes. Il est sûrement un menteur, et ce qu'il affirme est faux. Il doit être expulsé de la tribu».

Une voix s'éleva en protestation: «Pourquoi? Comment pouvez-vous exprimer l'idée de son expulsion? Comment peut-on faire une chose pareille? Non, jamais, on ne fera cela. Il est le plus courageux de notre tribu».

Des discussions s'engagèrent au terme desquelles on décida d'attirer l'attention des notables de la tribu sur cette affaire. Ces derniers décidèrent de soumettre le problème au chef de la tribu. Tout le monde se dirigea donc vers Khafaf.

Le chef de la tribu dépêcha immédiatement son esclave chez Abû Tharr pour le faire venir chez lui. En arrivant à destination, l'esclave dit: «Abû Tharr et Unays sont convoqués chez le chef».

Abû Tharr l'informa qu'il pesait justement aller le voir. Après le départ de l'esclave, Abû Tharr s'arma de son épée et dit à son frère: «Allons voir Khafaf».

Unays observa: «Frère! J'ai entendu de mauvaises choses sur toi par les gens. Je crains que cette rencontre soit inopportune. Quelque chose d'imprévu peut se produire». Abû Tharr lui répondit: «Non! Cela n'arrivera pas. Je connais Khafaf très bien. C'est un homme sage. Allah l'a doué de raison. Il est le plus intelligent de toute notre tribu».

Les deux frères sortirent et se dirigèrent vers la résidence de Khafaf en discutant. Une fois arrivés à destination ils virent les notables de la tribu, assis en cercle autour du chef. S'adressant à l'assemblée, Abû Tharr salua: «As-Salâmu `Alaykum (Que la paix soit sur vous)».

Les notables furent offusqués par la salutation islamique d'Abû Tharr, et furieux, ils lui dirent: «Qu'est-ce que cette salutation qu'on n'a jamais entendue avant?!».

L'un des notables ajouta: «C'est triste! Nous ne savons pas de quel côté va bû Tharr».

Un autre reprocha: «Regardez! Il est assis avec son épée. Il n'a pas de respect pour le chef».

Un troisième homme rectifia: «Tu as raison! Mais il est un cavalier de la tribu et les guerriers sont toujours armés.».

Abû Tharr intervint: «Ecoutez-moi! Je vous respecte parce que vous êtes les nobles de la tribu. Nous sommes fiers de vous et nous vous tenons en estime. La salutation que je vous ai adressée est introduite par l'Islam».

Ensuite, Abû Tharr et Unays prirent place juste devant le chef de la tribu, Khafaf. Celui-ci commença à parler sur un ton correct mais vif: «O Abû Tharr! J'ai appris que tu as été amené à adorer Allah, Qui est Invisible. Les notables de la tribu sont choqués par cette attitude. Ils disent que tu insultes leurs dieux et prétends qu'ils sont des objets dépouillés de toute sagesse.

«O Abû Tharr! Nous te respectons, mais cela ne signifie pas que nous soyons enclins à tolérer qu'on insulte nos dieux. Je te demande de te défaire de tes idées nouvelles et de revenir à ta religion ancestrale, ou à défaut, de m'expliquer ta nouvelle foi afin que je puisse comprendre sa vérité. En retour, je te promets de l'accepter, si tu arrives à nous démontrer qu'elle est raisonnablement meilleure que la nôtre».

Abû Tharr répondit: «O, Chef de notre tribu! Nous te respectons et t'honorons, quoi que tu dises. Mais en même temps, nous voudrions t'expliquer qu'Allah, l'Unique, que nous avons décidé d'adorer et en Qui nous croyons, est Celui-là même qui a créé le ciel et la terre, Qui donne subsistance à toutes les créatures, Qui contrôle la vie de tous objets animés et Dont le Pouvoir est illimité.

»Les idoles que nous adorions jusqu'à maintenant ont été fabriquées avec nos mains et à l'aide de nos ciseaux et marteaux. Est-il raisonnable de penser que celui que nous avons fabriqué avec nos mains puisse être notre créateur, notre nourricier et l'auditeur de nos prières?

»L'homme est le plus noble de toute la création. Comment sa dignité permet-elle qu'il incline la tête devant une pierre? Chef! Pense, s'il te plaît, sans passion à ce que je dis. Ces idoles n'ont pas le pouvoir même de se protéger de leurs ennemis.

»Ecoute-moi, O Chef! Un jour je suis allé auprès de Manât et je lui ai offert un verre de lait. Alors que j'étais encore là, un renard est venu. Il but le lait et urina sur Manât. Cet incident eut un grand effet sur moi, et je me suis dit comment un dieu peut être à ce point sans défense! Cela m'a montré clairement que Manât ne saurait être un dieu. Je suis sûr que tout homme raisonnable pensera que le Créateur du ciel est supérieur au ciel, et que le Fondateur de la terre est meilleur que la terre. Conformément à ce raisonnement, les idoles ne peuvent être meilleures que nous, et n'étant pas supérieures à nous, il est insensé pour nous de les adorer.

»O Chef! Je suis arrivé à la vérité que Allah l'Unique est le Créateur et le Nourricier de tout l'Univers, et que Mohammad al-Mustafâ qui a été envoyé à la Mecque est Son Messager.

»Mohammad (P) possède de telles hautes qualités que personne dans le monde ne peut l'égaler. Les Quraych qui sont ses pires ennemis admettent sa sincérité, sa véracité et ses qualités. Bien qu'ils sachent parfaitement que Mohammad est contre leurs dieux et leur religion, ils l'ont surnommé al-Çâdiq al-Amîn (le Véridique, le Sincère), comme je viens de l'apprendre dernièrement. Écoutez! La lumière rayonne de son visage et la sagesse découle de ses mots».

Dès qu'Abû Tharr termina son discours, un vacarme s'éleva de partout. «Quel gentil discours fait Abû Tharr, là! Nos dieux sont donc des sourds-muets! Abû Tharr a insulté notre foi et humilié nos dieux».

Quelques-uns dans l'assistance prirent la défense d'Abû Tharr: «Nos amis! Ne dites pas de bêtises. Nous disons sincèrement que tout ce qu'Abû Tharr a dit nous semble juste, et la raison nous commande d'accepter la vérité. Nous sommes sûrs que nous ne pouvons avoir meilleure guidance que celle qu'Abû Tharr nous a apportée».

Une autre voix s'éleva: «L'Arabie a besoin d'un réformateur et personne ne s'avère être meilleur réformateur que celui que nous a présenté Abû Tharr».

Une autre voix encore approuva: «Le discours d'Abû Tharr est très raisonnable».

Puis une voix très forte s'éleva, perçant les tympans des oreilles: «O Abû Tharr! J'atteste qu'il n'y a de dieu qu'Allah et que Mohammad est Son Messager!».

Constatant ces différentes opinions, Khafaf, le chef de la tribu, après mûre réflexion, leva la tête et dit: «Chers hommes de la tribu! Ecoutez-moi bien attentivement! Vous avez entendu tout ce qu'Abû Tharr a dit. Il est de notre devoir de réfléchir à son discours très soigneusement et de voir quelle part de vérité il contient. La précipitation est déconseillée. Il serait insensé de rejeter les suggestions de quelqu'un avant de les avoir examinées.

»Mes amis! Vous êtes conscients de la confusion dans laquelle nous sommes plongés et des crimes dans lesquels nous sommes impliqués. Les riches exploitent les pauvres et il n'y a pas de limites aux péchés et au mal que nous commettons.

»Je suis arrivé à la conclusion que je doive accepter et épouser ce qu'Abû Tharr dit. Maintenant, il vous appartient de former votre opinion vous-mêmes.

»Ecoutez-moi tous: J'atteste qu'il n'y a de dieu qu'Allah et j'atteste que Mohammad est Son Messager».

Dès que Khafaf prononça la prestation de foi "Ach-hadu an Lâ Ilâha Illa-l-lâh wa Ach-hadû Anna Mohammadan Rassûl-u-llâh", il y eut ut un déchaînement de voix au sein de la tribu: «Khafaf est devenu Musulman. Khafaf a embrassé l'Islam».

A peine Khafaf était-il devenu Musulman, la condition de la tribu changea complètement. La plupart de ses membres se convertirent à l'Islam, et les autres attendaient de connaître l'Islam de la bouche du Saint Prophète lors de son arrivée à Médine.

Bref, grâce aux gros efforts d'Abû Tharr, la majorité de la tribu de Ghifâr embrassa l'Islam et on commença à entendre dans son sein s'élever les cris de: «Allah est Le Plus Grand», «Louanges à Allah», et citer le nom du Saint Prophète jour et nuit.

Après avoir infusé l'esprit de l'Islam dans la tribu de Ghifâr, Abû Tharr concentra son attention sur `Asfân. Arrivant à cet endroit, il prêcha l'Islam aux gens. Etant donné que cette région constituait un passage très fréquenté par les Quraych et qu'Abû Tharr éprouvait un sentiment de malaise envers ces derniers en raison des tortures qu'ils lui avaient fait subir, il mit un peu de rigueur pour les faire se convertir à l'Islam. Lorsqu'un groupe de Quraych arriva à cet endroit, il lui présenta l'Islam et un grand nombre de ce groupe embrassa la nouvelle Foi.


Chapitre 4 
Lors de l'émigration du Prophète à Médine

Selon l'écrivain égyptien `Abdul-Hamîd Jawdat al-Sahar: «L'Islam se répandit à Médine comme un feu sauvage». La tribu de Ghifâr fut transportée de joie en voyant Médine accueillir l'Islam. Les Musulmans se félicitèrent de la conversion à l'Islam des Aws et des Khazraj, dont les hommes étaient considérés comme étant les plus éloquents, les plus guerriers parmi les Arabes et les meilleurs partisans de l'Islam. Chaque Musulman vit dans cet événement la Volonté d'Allah de faire triompher Sa Religion et d'aider le Saint Prophète à réaliser Sa Promesse.

Unays apporta à son frère Abû Tharr ces bonnes nouvelles et lui dit: «L'Islam s'est répandu à Médine. Les Aws et les Khazraj ont embrassé l'Islam!».

Abû Tharr annonça: «Le Messager d'Allah ira très bientôt les rejoindre et émigrera à Medine».

Unays regarda, d'un air surpris, son frère et lui demanda: «T'a-t-on déjà apporté cette information?».

Abû Tharr répondit: «Non, Pas plus que je ne savais rien jusqu'à ton arrivée, de la conversion des habitants de Yathrib (Médine) à l'Islam».

- Unays: Mais alors, comment sais-tu que le Messager d'Allah émigrera à Yathrib?

- Abû Tharr: Il m'avait dit, le jour même où je l'avais vu pour la première fois, qu'il irait à une ville de dattiers, et je pense que cette ville est Yathrib. Le Prophète avait dit la vérité.

- Unays: Est-il possible que sa tribu (les Quraych) le laisse partir avec les Musulmans sans penser qu'il reviendrait avec une armée pour l'attaquer?

- Abû Tharr: Les Quraych pourraient le laisser ou ne pas le laisser partir, peu importe. Mais lui en tout cas, il émigrera bientôt à cette ville. Evidemment, Seul Allah sait quand et comment cela arrivera.
* * *

Abû Tharr convertit sa tribu à l'Islam après être devenu lui-même Musulman. Puis il concentra ses efforts sur Médine. Depuis son retour de la Mecque jusqu'à l'émigration du Saint Prophète il s'occupa à prêcher l'Islam, et il continua à y appeler les masses.

Le Saint Prophète poursuivait son devoir de prêcher l'Islam et les Quraych continuèrent de faire leur devoir de le torturer pour l'empêcher d'accomplir son oeuvre. Ils le persécutèrent tellement qu'il n'y avait plus d'autre alternative que de s'en aller. Toujours est-il que l'Archange Jibrâ'îl (Gabriel) lui communiqua l'Ordre d'Allah de quitter la Mecque et de demander à `Ali de dormir dans son lit par diversion.

Le Saint Prophète s'exécuta. Après avoir laissé `Ali dans son lit pour faire croire aux Quraych qu'il dormait, il quitta la Mecque. Il se cacha pendant trois jours dans la grotte de Hirâ', puis il poursuivit sa route vers Médine.

Pendant ce temps, Abû Tharr attendait avec angoisse cette émigration, et les membres de sa tribu ne cessaient de demander à tout voyageur des nouvelles du Saint Prophète.

Lorsque les Ghifâr apprirent que le Saint Prophète était sur la route de Médine venant de la Mecque, ils furent très heureux. Abû Tharr sentit venir une vague de bénédiction vers les Musulmans. Il attendait avec impatience, comme les autres membres de sa tribu, l'arrivée du Saint Prophète à Médine. Les gens se rassemblèrent autour de lui pour lui poser des questions sur le Messager d'Allah, son tempérament, son visage etc. Il leur répondait: «Vous allez le voir très prochainement. Il est le meilleur de tous et dépasse toute l'humanité dans ses mérites».

Lorsque les gens étaient fatigués d'attendre, Abû Tharr gardait un oeil ouvert sur la route afin d'être le premier à informer les Musulmans de l'arrivée imminente du Saint Prophète, et à soulager leurs coeurs assoiffés et à en enlever la peur qu'ils éprouvaient pour lui, l'attente ayant duré très long temps.

Le temps passait. Les Ghifâr avaient un désir ardent de voir et d'accueillir le Saint Prophète. En jetant un coup d'oeil sur la route, Abû Tharr aperçut de loin un chameau. Tout le monde se mit à regarder les yeux d'Abû Tharr. Après quelques instants, Abû Tharr s'écria: «Par Allah, le Prophète est arrivé».

Al-`Allâmah al-Subaytî écrit à ce propos: «Le Saint Prophète exhalait une lumière. Tout le monde proclama d'une seule voix avec Abû Tharr «Grâce à Allah! Le Prophète est arrivé».

Abû Tharr se lança sans tarder vers le chameau du Messager d'Allah et en attrapa les rênes».

Les gens se mirent à crier avec enthousiasme: «Allâhu Akbar» (Allah est le Plus Grand) autour du Saint Prophète. Tout le monde, les femmes, les vieux, les jeunes, les garçons et les filles, criait avec joie: «Le Prophète d'Allah est venu!». «Le Prophète d'Allah est venu!».

Le Saint Prophète descendit du chameau et récita le Saint Coran. Sa voix pénétra tout de suite les coeurs des masses qui l'attendaient impatiemment. Puis, il commença à prêcher. Les gens s'avancèrent par fournées vers lui pour prêter serment d'allégeance. Abû Tharr était débout tout près du Saint Prophète, et ressentait une fierté et une joie indescriptibles.

La tribu de Ghifâr se présenta devant le Prophète (Ç) et lui dit: «O Prophète d'Allah! Abû Tharr nous a appris tout ce que tu lui avais dit. Aussi sommes-nous devenus Musulmans et attestons-nous que tu es le Prophète d'Allah».

Par la suite les gens de la tribu Aslam dirent: «Nous aussi avons embrassé l'Islam de la même façon que nos frères (Ghifâr)». Le Prophète d'Allah en fut heureux, et levant ses mains vers le ciel, il pria: «O Seigneur des mondes! Accorde Ton Pardon aux Ghifâr et protège les Aslam».

La foule semblait joyeux et ne cessait de regarder le visage éblouissant du Messager d'Allah, d'après `Abdul Hamîd Jawdat as-Sahar qui écrit: «Les gens se mirent à regarder le visage du Prophète (Ç) attentivement. Ils remarquèrent que c'était un homme au visage brillant, aux lèvres souriantes et au caractère agréable. Il n'était ni maigre ni mince ni gros. Il avait les traits beaux. Ses yeux étaient grands et noirs, ses cils longs, son arcade entre le noir et le brun, ses cheveux noirs, le cou long et la barbe épaisse. Il était plein de dignité lorsqu'il gardait le silence et il inspirait le respect lorsqu'il parlait. Il parlait d'une façon agréable. Il n'était ni taciturne ni bavard à la voix forte. Il paraissait plus beau de loin et plus beau de près. Il était de taille moyenne: ni tellement grand qu'il semblerait déplaisant à regarder ni tellement petit que les gens paraîtraient le regarder de haut».

Ensuite, le Prophète se mit en route vers Médine et Abû Tharr retourna chez sa tribu.

Lorsque le Messager d'Allah arriva à Médine, il eut droit à un accueil chaleureux. Dès son arrivée, il prêcha le message de l'Islam. Abû tharr qui n'avait pas pu l'accompagner à Médine resta dans sa tribu si longtemps qu'il ne put participer aux trois grandes batailles de l'Islam: la bataille du Badr en l'an 2 de l'Hégire, de Uhud en l'an 3 et d'al-Ahzâb en l'an 5.

Après la bataille d'al-Ahzâb, un verset coranique fut révélé qui conduisit Abû Tharr à partir pour Médine. En effet, un jour, alors qu'il faisait les récitations de l'après-prière du Maghrib dans la mosquée de sa ville, il entendit un homme réciter le verset: "O vous les Croyants! Vous indiquerai-Je un marché qui vous sauvera d'un châtiment douloureux?" (Sourate al-Çaff, 61:10). Ayant réfléchi sur la signification de ce verset, il fut soucieux du Jihâd (Guerre Sainte), et il dit à Unays: «Je partirai à Yathrib demain».

- Unays: C'est bien! Vas-y. Qu'Allah t'y conduise sain et sauf! Mais dis-moi quand comptes- tu revenir?

- Abû Tharr: Je ne reviendrai pas. Je consacrerai le reste de ma vie au service du Saint Prophète.

- Unays: O frère! Tu es devenu un vrai croyant et la foi semble avoir pénétré ton coeur et ton âme. Ta tribu et les tiens ont énormément besoin de toi ici. Ton départ représentera une grande perte pour nous. Je crois donc que tu devrais renoncer à ton projet de partir pour Médine, et passer ta vie avec nous.

- Abû tharr: Le Saint prophète est meilleur que les gens d'ici. J'ai déjà manqué trop à de devoirs: Le Saint Prophète a livré la Bataille de Badr, et je n'ai pas pu y assister. Il a combattu à Uhud et je n'ai pas pu l'y joindre. Il s'est engagé dans la Campagne d'al-Ahzâb et je n'ai pas pu être à ses côtés. Jusqu'à quand devrais-je être au service de ma tribu en me privant des bénédictions découlant du martyre? Ce que j'ai fait jusqu'à maintenant est largement suffisant. A présent, je ne suis pas disposé à renoncer, même l'espace d'une fraction de seconde, à mon idée de partir pour Yathrib.

- Unays: A mon avis, tu devrais rester chez toi comme d'habitude. Le Saint Prophète t'appellera lui-même lorsqu'il aura besoin de toi. Réfléchis! Il y avait beaucoup de personnes qui étaient dans leurs maisons et qui sont parties vers Médine lorsque le Saint Prophète les a appelées.

- Abû Tharr: Le délai d'attente est écoulé. Même si le Prophète ne m' appelle pas, j'ai quand même une obligation dont je dois m'acquitter, et cela sans attendre que l'on m'y convie. Je n'attendrai plus, j'irai sans invitation.

- Unays: D'accord! Mais pas de précipitation. Prends les provisions nécessaires pour le voyage.

- Abû Tharr: Je n'ai besoin d'aucune provision. Quelques morceaux de pain sec me suffiront.

Abû tharr abandonna ainsi terre et maison pour gagner Médine. Une fois arrivé à destination, il eut l'honneur de rejoindre le Prophète et de rester en sa compagnie.

Il avait l'habitude de passer toute la nuit à la Mosquée du Prophète et de rencontrer les gens pendant la journée. Il mangeait avec le Prophète (P) et il ornait sa vie matérielle de piété et de vertu. Il se consacrait pleinement à l'apprentissage de Hadith (Tradition du Saint prophète) par coeur.

Après son arrivée à Médine, Abû Tharr était tombé malade à cause du changement de climat. Le Saint Prophète apprit la nouvelle de sa maladie et vint le voir. Il lui dit: «Abû Tharr! Tu dois rester quelques jours à l'extérieur de Médine, là où les chameaux, les moutons et les chèvres du Trésor public broutent. Et prends note que tu ne dois manger comme aliment que du lait pendant ton séjour à cet endroit».

Aussitôt qu'il reçut cet ordre du Prophète (P), Abû Tharr partit avec son épouse pour l'endroit désigné. Sa maladie fut dure à supporter pendant quelques jours, mais peu à peu il recouvra sa santé, ce qui lui permit de consommer son mariage avec son épouse. Là, un problème se posa. Après l'acte sexuel, l'Islam exige que l'on prenne un bain rituel (Ghosl) pour pouvoir accomplir les prières obligatoires. Or, il lui était difficile de se procurer de l'eau. Jusqu'alors il ne savait pas le mode de l'accomplissement du tayammum(2), lequel est justement prévu comme solution de rechange lorsque l'accomplissement du bain rituel est difficile ou impossible pour une raison ou une autre. Ainsi, il se trouva dans l'embarras pendant un certain temps, ne sachant pas comment s'acquitter de ses obligations religieuses. Finalement, le bons sens lui commanda d'aller voir le Prophète. Aussi enfourcha-t-il un chameau et se dirigea-t-il vers le Messager d'Allah.

Dès que le Saint Prophète aperçut Abû Tharr, il lui sourit, et avant que ce dernier ouvre sa bouche, il lui dit: «Abû Tharr! Ne te soucie pas. L'eau est préparée pour toi ici et maintenant». En effet, une servante apporta l'eau, et Abû Tharr put, ainsi, prendre le Bain Rituel. Après quoi, il revint vers le Prophète, lequel saisit l'occasion pour lui apprendre le mode de tayammum(3).

Alors qu'Abû Tharr continuait à mener sa vie en compagnie du Saint Prophète, l'heure de la Bataille de Tabûk sonna en l'an 9 de l'Hégire. Selon les historiens, lorsque le Prophète (P) apprit que les Chrétiens de la Syrie venaient de prendre la ferme résolution d'attaquer Médine avec une armée forte de quarante mille hommes envoyés par le Roi de Rome (Hercule), il décida de prévenir cette attaque en marchant à la tête d'une force armée musulmane de trente à quarante mille hommes, sur la Syrie. En même temps, il nomma `Ali Gouvernant adjoint de Médine. Une fois son armée levée, il quitta Médine pour la Syrie.

Après le départ du Prophète (P), les Hypocrites, s'évertuèrent à se moquer de `Ali en lui disant que le messager d'Allah l'avait laissé derrière lui pour porter son fardeau. Voulant se démontrer que les Hypocrites disaient là des mensonges, `Ali décida d'aller voir le Prophète. Lorsqu'il rejoignit ce dernier à Jaraf, il lui expliqua la raison de sa venue et la moquerie des Hypocrites.

Le Prophète (P) lui dit: «Les Hypocrites sont des menteurs. Je suis venu ici après t'avoir désigné comme mon député. O `Ali! N'es-tu pas content que ton grade soit monté! Tu es à moi ce que Hârûn fut à Mûsâ, à cette différence près qu'il n'y aura pas de prophète après moi».(4) Il voulait dire par là que de même que Mûsâ avait nommé Hârûn comme son député avant d'aller au Mont Tûr, de même lui (le Prophète Mohammad) l'élevait au rang de son représentant.(5)

Après cette explication, `Ali retourna à Médine et le Prophète se dirigea vers Tabûk qui se trouvait à une distance de dix étapes de Damas et de Médine à la fois, et sur la frontière de l'Empire romain de l'époque.

Lorsque le messager d'Allah atteignit Tabûk, il y resta une vingtaine de jours. Pendant son séjour dans cette localité, il s'appliqua à envoyer tout autour des brigades qui avaient pour mission principale l'appel à l'Islam. Mais aucune armée romaine ne vint à leur rencontre. Le Prophète (P) rebroussa donc chemin. Pendant son retour, alors qu'il traversait la vallée de `Aqabah Thî Fatq, les Hypocrites projetèrent d'attenter à sa vie en effrayant son chameau pour qu'il le jette par terre. Mais l'attentat fut un échec et le Prophète fut sauvé par `Ammâr Ibn Yâcir et Huthayfah Ibn Yaman. Après que le Prophète eut traversé la vallée, il divulgua à Huthayfah les noms des Hypocrites qui avaient attenté à sa vie à la faveur de la nuit, et lui intima l'ordre de garder cela pour lui. Des "Compagnons"notables figuraient sur la liste des noms divulgués par le Prophète.(6)

Selon Tah-thîb al-Tah-thîb, les gens impliqués dans cet attentat tentèrent en vain de savoir de Huthayfah si leurs noms étaient sur la liste. Finalement, l'un d'entre eux ne pouvant plus supporter sa trahison reconnut auprès de Huthayfah sa participation à l'attentat: «Que tu me le dises ou non, par Allah, lança-t-il, j'ai été l'un d'eux».

En tout état de cause, le Prophète retourna sain et sauf à Médine au mois de Ramadhân.

Au moment du départ de l'armée des Musulmans vers la Bataille de Tabûk, Abû Tharr se trouvait aux côtés du prophète. Mais son chameau étant trop faible et trop maigre, il ne put pas aller à la même allure que la caravane. Il réussit quand même à marcher sur la trace de celle-ci, mais avec un retard d'une distance de trois jours de voyage. Il fit tout son possible pour rejoindre la caravane mais sans succès. Il se sentit très affligé de ne pas pouvoir se joindre aux troupes.

Selon une autre version, lorsque Abû Tharr fut resté derrière la caravane, quelqu'un attira l'intention du Prophète sur la difficulté qu'il avait rejoindre les troupes. Le Saint Prophète répondit: «Laisse-le se débrouiller tout seul. Il réussira si Allah le veut». Ainsi la caravane avança, laissant Abû Tharr dans la perplexité et l'anxiété. Parfois, il pensait parfois revenir à Médine, et parfois il se disait qu'il fallait à tout prix parvenir à Tabûk, car l'idée de rester loin du Prophète le tourmentait. Il pressait son chameau avec excitation pour qu'il avance, mais ce dernier n'avançait pas à cause de sa faiblesse. Constatant qu'il était inutile d'essayer de forcer son chameau fatigué d'avancer, il en descendit et le déchargea pour porter lui-même ses bagages sur son propre dos et il se mit à marcher à pied. Comme il faisait très chaud à cette saison, il avait, tout le temps, une soif terrible et insupportable. Aussi se mit-il à la recherche d'eau. Lorsqu'il aperçut un peu d'eau de pluie au fond d'une fosse, il y accourut, et sans perdre un moment, il y en puisa dans le creux de sa main pour désaltérer. Mais l'eau était si fraîche qu'il pensa subitement qu'il ne convenait pas d'en boire avant que le Saint Prophète ne le fasse. A cette idée, il rejeta l'eau de sa main pour remplir une aiguière afin de l'apporter au Saint Prophète.

Malgré sa soif et son épuisement extrêmes, il continua seul sa route en portant précieusement l'outre remplie d'eau. Lorsqu'il arriva à la frontière de Tabûk les Musulmans l'aperçurent et informèrent le Prophète de l'arrivée d'un voyageur sinistré. Le Prophète dit sur-le-champ: «C'est mon Compagnon Abû Tharr. Allez vite me l'amener». Entendant cet ordre du Prophète, les Compagnons s'exécutèrent et emmenèrent Abû Tharr auprès du Messager d'Allah.

Après s'être enquis de sa santé, le Prophète lui demanda: «O Abû Tharr! Tu as de l'eau sur toi. Pourquoi donc, tu as l'air tellement assoiffé?».

- Abû Tharr: Certes, Maître, l'eau est là, mais je ne peux pas en boire.

- Le Prophète: Et pourquoi cela?

- Abû Tharr: O Seigneur! Sur mon chemin, j'ai trouvé de l'eau fraîche au pied d'une colline, mais ma conscience ne m'a pas permis d'en boire avant toi. C'est pourquoi je l'ai apportée pour toi. J'en boirai une goutte après que tu en auras bu.

Le Saint Prophète lui fit alors cette prédiction: «O Abû Tharr! Allah te couvrira de Sa Miséricorde. Tu vivras et tu quitteras ce monde seul. Tu seras ressuscité seul le Jour du Jugement. Tu entreras dans les cieux seul. Un groupe d'Irakiens seront bénis grâce à toi, car, après, ta mort, ils te laveront, t'envelopperont dans un linceul, et prieront sur toi».

Cet incident ne montre pas seulement l'amour et le dévouement incomparables d'Abû Tharr pour le Prophète, mais il offrit au Messager d'Allah l'occasion de prévoir les troubles et les calamités dont sera victime ce noble Compagnon. Il ressort clairement de l'affirmation du Savant Chiite rénovateur, Al-`Allâmah al-Majlici que le Prophète avait jeté à diverses occasions la lumière sur les événements auxquels Abû Tharr aura à faire face, prédictions qui se réalisèrent toutes. Il cite à ce propos un récit rapporté par Ibn Babwayh (citant `Abdullâh Ibn `Abbâs), et selon lequel, un jour, alors que le prophète était assis dans le Masjid de Quba, entouré d'un certain nombre de Compagnons, il dit: «Le premier homme qui va traverser la porte de ce masjid (mosquée) sera au nombre des gens des Cieux». Peu de temps après, Abû Tharr entra par cette porte. Il était le premier homme venant de l'extérieur tout seul. A son entrée, le Prophète dit: «O Abû Tharr! Tu es parmi les gens des Cieux». Et d'ajouter: «Tu seras banni de la Mecque à cause de ton amour pour les Gens de ma Famille (Maison) - Ahl-ul-Bayt -. Tu vivras sur une terre étrangère et tu mourras dans la solitude. Un groupe d'Irakiens seront bénis pour t'avoir fait le bain funéraire, pour avoir enveloppé ton corps dans un linceul, et ils seront de ce fait avec moi au Ciel».


Chapitre 5 
Un disciple modèle du Prophète

L'histoire témoigne qu'Abû Tharr était tellement pieux après sa conversion à l'Islam que personne ne pouvait se mesurer à lui dans le domaine spirituel. Il atteignit un tel degré de perfection sur le plan de la pureté de la foi et de la sincérité du coeur, qu'il devint un phare pour les gens qui voulaient être éclairés. Il enrichissait leurs esprits avec ses conseils, il leur inculquait le sens de l'égalité et de l'amour, et il leur montrait la voie de l'obéissance à Allah et à Son Saint Prophète.

Il menait une vie islamique tellement digne que les historiens trouvaient difficilement les mots exacts pour la décrire. `Abdullah al-Subaytî écrit qu'Abû Tharr se détachait, parmi les Compagnons qui excellaient en piété, en abstinence, en adoration d'Allah, en véracité, en fermeté de foi et en résignation devant la Volonté d'Allah. Son alimentation quotidienne du vivant du Prophète consistait en trois kilos de dattes et il avait maintenu ce régime pendant le restant de sa vie. Sa moralité et sa vertu étaient telles que le Saint Prophète, l'inclut, comme Salmân al-Faricî dans les Ahl-ul-Bayt (La Famille du Prophète). Al-Hâfidh Abû Na`îm dit qu'Abû Tharr était un homme de piété et avait un coeur pleinement satisfait. Il était la quatrième personne à embrasser l'Islam. Il avait renoncé aux péchés avant même la mise en application de la Loi islamique. Son but le plus cher était de ne pas baisser la tête devant les gouvernants tyranniques. Il supportait avec stoïcisme les afflictions et les malheurs. Il se distingua par l'apprentissage, par coeur, des Traditions et des exhortations du Saint Prophète.

Abû Nâ`îm fait remarquer qu'Abû Tharr a rendu un grand service au Saint Prophète, dont il a appris les Statuts légaux de la Loi islamique (Ahkâm Char`iyyah) dans les domaines de l'adoration et des relations sociales, ce qui lui a permis de s'abstenir de tout péché. L'un de ses traits caractéristiques était de poser, souvent, des questions au Saint Prophète afin de savoir tout. Il a apprit, par coeur, toutes les significations et toutes les interprétations du Saint Coran et des Traditions du Prophète, et il se montrait très avide sur ce plan. En bref, il a appris du Saint Prophète énormément de choses, non seulement, pour son usage personnel, mais aussi pour mettre ce trésor de savoir au service des adeptes de l'Islam.

Un autre fait notable par lequel Abû Tharr se distingua, fut sa marche continuelle et constante sur la ligne du Saint Prophète, ligne dont il ne dévia jamais, même lorsque le vent changea de direction, après la disparition du Messager d'Allah. En effet, Abû Tharr resta aux côtés de l'Imâm `Ali après la mort du Saint Prophète, et il ne le lâcha jamais. Il le suivit toujours et continua à bénéficier de son immense savoir pour compléter les connaissances qu'il avait acquises en compagnie du Saint Prophète. Quoi de plus logique pour un homme aussi pieux que lui et aussi assoiffé de savoir religieux! Le Prophète n'avait-il pas dit: «Je suis la Cité du Savoir et `Ali en est la Porte»? Il put ainsi s'imprégner de son savoir, de son ascétisme, de sa bienfaisance, de ses vertus morales et de sa conduite exemplaire. C'est pour cela que le Prophète avait dit: «Abû Tharr est l'homme le plus véridique de la nation». Ou encore:«Abû Tharr est pareil au Prophète `Isâ (Jésus) par son ascétisme», et «Celui qui voudrait connaître l'austérité et la modestie de `Isâ, devrait aller voir Abû Tharr».

Il va de soi que la piété d'un homme aussi religieux qu'Abû Tharr ne se limitait pas à l'accomplissement des prières et d'autres pratiques rituelles. Il avait des compétences pratiques dans toutes les formes de la piété et de l'adoration. Il est indéniable que réfléchir sur l'existence et la Création d'Allah est aussi un acte d'adoration très méritoire. Or, Abû Tharr excella aussi dans ce domaine de l'adoration.

Les historiens et les rapporteurs de Hadith sont unanimes pour remarquer qu'Abû Tharr atteignit un très haut degré de savoir parce qu'il cherchait sincèrement à acquérir une large connaissance en compagnie du Saint Prophète. Il s'attachait sans cesse à poser des questions au Messager d'Allah et à en apprendre la réponse par coeur. L'auteur de "Kitâb al-Darajât al-Rafî`ah" dit qu'Abû Tharr était reconnu comme étant au rang des grands érudits et ascètes. Il était un des premiers Compagnons du Prophète et l'un de ceux qui respectèrent parfaitement leur pacte avec Allah, c'est-à-dire, qui s'acquittèrent de leur engagement devant Lui de se conformer scrupuleusement et loyalement aux préceptes de la religion. Il était aussi l'un des quatre personnages dont l'amour était rendu obligatoire à tous Musulmans.

Al-`Allâmah Manazir Ihsân al-Guîlânî, soulignant le savoir immense d'Abû Tharr, écrit: «Lisez le testament de `Ali, le meilleur juge parmi les Compagnons, et la Porte de la Cité du Savoir, et vous constaterez vous-mêmes qu'il avait raison de dire qu'Abû Tharr était très gourmand et très cupide [en matière d'apprentissage]».

N'est-ce pas cette même attestation de l'Imam `Ali qui justifie et corrobore ce que revendiquait parfois avec fierté, Abû Tharr: «Nous avons quitté le Saint Prophète à un moment où il n'y avait pas eu un seul oiseau volant avec des ailes battantes, dans le ciel, à propos duquel nous n'ayons pas appris quelque chose de particulier»(7).

Al-`Allâmah al-Guîlânî note à propos du savoir d'Abû Tharr: «Quelqu'un a demandé un jour à l'Imam `Ali ce qu'il pensait d'Abû Tharr. À cette question il a répondu: «Wa`â ilman `ajaza fîhi (c'est-à-dire: Abû Tharr a acquis un savoir qui l'a vaincu)».

On a pu constater combien il était disposé à écouter et recevoir les idées; d'ailleurs on pourra pressentir cette disposition à travers les différents éléments de sa biographie. Il tenait toujours à appliquer tout de suite ce qu'il apprenait du Saint Prophète. Dès qu'il entendait quelque chose du Messager d'Allah, il le mettait en pratique sans hésitation. Son plus grand désir était que sa conduite soit totalement en conformité avec le savoir.

Abû Tharr était si résolu et si ferme sur ce point, qu'aucune force terrestre ne pouvait entamer sa détermination et sa fermeté en ce qui concerne l'application stricte de la Loi divine. Ni les menaces ni les exhortations ne pouvaient ébranler la position qu'il avait prise sur ce plan. Se montrant fier parfois de cette position distinctive, il disait souvent: «O gens! Le Jour du Jugement, je serai le plus proche de l'assemblée du Saint Prophète, car j'ai entendu ce dernier dire que le plus proche de lui le Jour du Jugement sera celui qui aura quitté ce monde dans la même condition que l'aura quitté le Messager d'Allah lui-même. Or, je jure par Allah qu'aucun parmi vous, à part moi, n'est dans sa situation originelle ni n'est contaminé par quelque chose de nouveau» ("Tabaqât Ibn Sa`d" et "Musnad Ahmad Ibn Hanbal").

Ces propos ne sont pas de simples prétentions, mais des vérités attestées par le dirigeant du monde et le dernier des Prophètes. Il est écrit dans Tabaqât Ibn Sa`d qu'un jour, le Saint Prophète demanda à un groupe de Compagnons: «Qui parmi vous viendra me voir auprès de Kawthar (une Source au Paradis) dans la même condition dans laquelle je l'aurai laissé?». Abû Tharr répondit: «Moi!». Le Prophète acquiesça: «Tu as raison, c'est-à-dire tu mourras dans le même état de foi dans lequel je t'aurai laissé».

L'Imam `Ali aussi, disait: «Maintenant, il ne reste personne qui ne craigne les sarcasmes et la raillerie des moqueurs, au sujet d'Allah, sauf Abû Tharr».

Ainsi, le terme "`ajaza fîhi" signifie clairement qu'Abû Tharr avait été vaincu par son savoir et son instruction, en ce sens qu'il n'avait pas le pouvoir d'agir contrairement à ce qu'il avait appris.

En d'autres termes, Abû Tharr acquit un savoir, comprit la réalité et la base de ce savoir, et le propagea bien. Il ne se souciait jamais du reproche de personne lorsqu'il communiquait aux gens les informations qu'il avait acquises du Saint Prophète. Il ne céda jamais aux intimidations d'un gouvernement quelconque. Il resta insensible aux manoeuvres politiciennes de Mu`âwiyeh, et totalement indifférent au miroitement de la fortune de `Othmân. Il appelait juste ce que le Saint Prophète avait qualifié de juste et erroné ce qu'il avait considéré comme erroné, et ce jusqu'au dernier moment de sa vie. Il se conduisit conformément aux principes et aux enseignements dispensés par le Saint Prophète, et il tenait également à rappeler toujours aux gens ces principes et enseignements, jusqu'à ce qu'il fût banni et mort dans un endroit lointain et isolé.

On lit dans "Kitâb al-Istî`âb" citant le Commandeur des Croyants, l'Imam `Ali, qu'Abû Tharr apprit quelques-uns des secrets que le commun des mortels ne pouvait supporter, et qu'il les garda pour lui-même.

Al-Hâfidh al-Baçrî écrit, dans "al-Machâriq", que la foi a dix étapes. Celui qui a atteint la première étape ne connaît pas les limites de la foi de celui qui est dans la deuxième étape, et celui qui se trouve dans la deuxième étape ignore l'étape de celui qui est arrivé à la troisième étape... et il en va de même jusqu'à la dixième étape. Or Salmân al-Faricî était au zénith du savoir ésotérique et la position d'Abû Tharr par rapport à Salmân al-Faricî était la même que celle du Prophète Mûsâ (Moïse) par rapport au Prophète al-Khidhr.

Al-Kharajaskî écrit dans "al-Kanz" que Salmân al-Faricî, disait, lorsqu'il s'adressait à l'Imam `Ali: «Bi Abî anta wa ommî, Yâ qatîla-l-Kûfa! (O futur martyr de Kûfa! Que mon père et ma mère te soient sacrifiés), avant d'ajouter: Si je divulguais les faits que je connais ta véritable illumination, je provoquerais un terrible remue-ménage parmi les gens». Al-`Allâmah al-Majlicî cite des hadith (récits de la vie des saints de l'Islam) du même genre à propos de Salmân et d'al-Miqdâd dans "Charh Uçûl al-Kâfî". Cela montre que si un Compagnon ne peut mesurer les limites de la connaissance d'un autre Compagnon, comment dès lors le commun des mortels pourrait supporter les connaissances (qui le dépassent) d'un homme aussi pieux qu'Abû Tharr?

On peut trouver la remarque ci-dessus de l'Imam `Ali à propos d'Abû Tharr: «Le savoir l'a vaincu» dans "Tabaqât al-Kubrâ" (Vol, 5), et "Sunan Abû Dawûd" également.

`Abdul Hamîd Jawdat al-Sahar écrit dans son livre "al-Ichtirâkî al-Zâhed": «Allah a voulu lui faire du bien en le dotant de la capacité et de la volonté d'apprendre. IL lui a inculqué la conviction et la sincérité, et lui a conféré des yeux scrutateurs et des oreilles attentives. Avec tous ces dons, il put mémoriser tout ce qu'il entendait de la bouche du Saint Prophète».

Avec la même application dans l'apprentissage des Traditions du Prophète, il narrait celles-ci et les communiquait aux gens. Il devint ainsi l'un des grands "traditionnistes" (narrateur de Hadith ou de Traditions du Prophète).

Abdul Hamîd Jawdat al-Sahar fait remarquer dans le même livre cité ci-dessus (page 14): «Abû Tharr était un muhaddith (rapporteur de Hadith) de premier ordre, et il parlait un arabe très éloquent et très compréhensible. Il était un modèle du Musulman pieux. Aussi devint-il l'homme le plus respectable de tous. Un jour, alors qu'il était assis dans la mosquée et qu'il narrait des Hadith comme d'habitude, un homme exprima son désir d'avoir voulu voir le Prophète. Abû Tharr cita alors un Hadith dans lequel le Prophète avait dit que les gens de sa nation qui l'aimeraient le plus sont ceux qui viendraient après lui et désireraient le voir même au prix de leurs enfants et fortune».

La moralité signifie les bonnes habitudes, et la connaissance de la morale ou de l'éthique est une sorte de philosophie pratique. Abû Tharr atteignit le plus haut degré de la moralité. Les bonnes habitudes et les nobles moeurs du Saint Prophète se reflétaient sur sa personnalité. Il avait une conduite et un caractère irreprochabls, islamiquement parlant. Tout ce qu'il fit sa vie durant était un exemple incomparable de moralité, et tout ce qu'il dit était conforme aux exigences de la société islamique. Et si d'aucuns considéraient ses bonnes habitudes comme incorrectes, c'étaient certainement des gens ignorants.

Al-`Allâmah al-Subaytî dit que les exemples de moralité que nous offrit Abû Tharr méritent toutes nos louanges. Il écrit à ce propos: «Ayant vu Abû Tharr enveloppé dans un manteau noir dans un coin du masjid, je lui ai demandé pourquoi il était assis là tout seul. Il m'a répondu qu'il avait entendu le Saint Prophète dire: «Il est préférable de s'asseoir dans un coin isolé qu'au milieu d'une mauvaise compagnie, et il vaut mieux s'asseoir avec des moralistes que dans un coin isolé. Garder le silence plutôt que dire des bêtises et dire ce qu'il faut plutôt que rester silencieux».

Abû Tharr dit que le Saint Prophète lui avait énuméré les règles des bonnes moeurs, comme suit:

1- Noue de l'amitié avec les pauvres et essaie de les garder près de toi;

2- Pour améliorer ta propre condition, regarde les gens de condition plus modeste plutôt que de te comparer avec ceux qui ont plus de moyens que toi;

3- Ne demande à personne de l'aide matérielle, et habitue-toi à la satisfaction (de ce que tu as);

4- Aie de la sympathie pour tes prochains et aide-les lorsqu'ils se trouvent dans le besoin;

5- N'hésite pas à dire la vérité même si le monde entier devait se mettre contre toi;

6- Ne fais pas attention aux propos des blasphémateurs concernant Allah;

7- Dis souvent: «Lâ hawla wa lâ quwwata illâ billâh (Il n'y a pas de pouvoir en dehors d'Allah)».

Abû Tharr poursuit: «Après m'avoir énuméré ces règles le Saint Prophète mit sa main sur mon coeur et ajouta: «O Abû Tharr! Il n'y a pas de sagesse meilleure que la bonne planification, ni de piété meilleure que la maîtrise de soi, ni de beauté meilleure que les bonnes moeurs».

Al-`Allâmah al-Guilânî, se référant à Musnad d'Ahmad Ibn Hanbal cite seulement deux (1,2) des sept préceptes ci-dessus mentionnés (ceux qui recommandent de lier amitié avec les pauvres, et de regarder les gens de condition plus modeste) et écrit: «En fait, ceci est le meilleur remède à la maladie de l'amour des riches et de l'amour du monde. Supposons qu'un homme qui possède une chemise en mousseline, et un pantalon de bonne qualité à porter, du pain de blé et de la viande de mouton à manger, une maison en argile, propre et bien arrangée à habiter, se compare avec un autre homme qui n'a rien d'autre qu'un vêtement rude, du pain d'orge et une chaumière de paille. Il (le premier) ne pourrait que remercier Allah pour la condition meilleure dans laquelle il vit, et éviterait sûrement les tourments mentaux qu'il aurait connus s'il s'était comparé avec un homme plus riche que lui, mangeant, s'habillant et se logeant mieux que lui. Donc regarder toujours les gens d'une condition plus modeste que la sienne est la meilleure façon d'être satisfait de ce qu'on a dans ce monde. Combien d'entre nous se conforment à cette recommandation? Je dirais qu'un homme qui agirait conformément à ce principe ne souffrirait jamais. C'est la seule règle d'or existant pour connaître le bonheur dans ce monde et dans l'Au-delà. Elle est magnifiquement illustrée par le vers suivant du célèbre poète iranien, Cheikh Sa`di: «Je pleurais pour une paire de chaussure, jusqu'à ce que j'aie vu un homme qui n'avait pas de pied».

Après l'amour de la richesse, l'autre partie de l'amour de ce monde se manifeste sous la forme de l'amour du pouvoir. Cette forme d'amour est encore plus dangereuse et elle constitue une cause principale de la corruption du système du monde. Les sottises commises dans le monde par les esclaves de la richesse sont beaucoup moins nombreuses et moins graves que celles faites par ceux qui ont une ambition excessive pour les positions et pouvoirs.

La vraie raison de cette maladie réside dans le fait que lorsqu'un homme se croit parfait dans un domaine, il oublie le pouvoir de l'Etre Qui lui a conféré cette perfection relative, et s'attribue des considérations en conséquence. Puis, il essaie de faire sentir aux gens autour de lui, l'importance qu'il s'est donnée. Ayant cet objectif en vue, il prépare des plans selon le pouvoir de sa pensée. Il remplit d'hypocrisie son esprit et occupe tout son temps à rendre tout le monde conscient de son existence par tous les moyens. La perfection qu'Abû Tharr atteignit ou presque était celle de la piété. Il craignait qu'elle n'engendre en lui fierté et vanité, qui conduisent à l'ambition d'une position et des honneurs, ce qui ne laisse aucune place à la paix dans ce monde et dans l'Au-delà. C'est pour cette raison, que le Prophète avait prévenu ce danger, et s'adressant à Abû Tharr, il lui dit à mots ouverts et clairement:

«Allah dit: "O Mes serviteurs! Vous êtes tous des pêcheurs, excepté ceux d'entre vous que Je préserve. Ainsi, chacun de vous doit M'adresser régulièrement des prières pour demander pardon, et Je le lui accorderai. Je pardonne les péchés de quelqu'un qui Me considère assez Puissant pour rédimer les péchés et que Je rédime, et de celui qui prie pour que ses péchés soient pardonnés à travers Mon Pouvoir. O Serviteurs! Chacun de vous est dévié sauf ceux d'entre vous que Je maintiens sur le droit chemin. Aussi, devez-vous prier pour solliciter Ma Guidance. Vous êtes tous pauvres et nécessiteux, à l'exception de ceux d'entre vous que Je rendrai riches. Priez-Moi donc d'assurer votre subsistance et rappelez-vous que même si vous vous réunissez tous, les vivants et les morts d'entre vous, les vieux et les jeunes, les vicieux et les vertueux pour pratiquer l'abstinence, cela n'ajoutera rien à ce qui existe dans Mon Royaume actuel, mais que si vous vous rassemblez tous, les morts et les vivants, les vieux et les jeunes, les vicieux et les vertueux pour Me prier de subvenir à vos besoins et que Je décide d'exaucer vos prières, il n'y aura aucun manque dans Mon Royaume, même pas l'équivalent d'une quantité d'eau puisée avec une aiguille que quelqu'un plongerait dans l'océan. Ceci, parce que Je suis Le Bienfaiteur, Le Pardonneur, Le Grand, L'Exalté et Celui Qui contrôle toutes les fins"».

Qui peut, après avoir cru en la vérité de la Gloire et de la Majesté Divines, telles que nous les percevons ci-dessus, être fier de son existence, de ses réalisations et de ses exploits, somme toute, insignifiants par rapport à la Grandeur et au Pouvoir d'Allah? Qui oserait, même l'espace d'une seconde, prendre de grands airs devant une telle Majesté? Quel croyant en Allah peut se montrer vaniteux à cause de sa position sociale, de son honorabilité et de ses moyens? Qui peut être assez idiot pour être fier de sa piété, tout en sachant que chacun de nous est pêcheur?

Quand on sait que toutes les fortunes des gens riches sont sous le Contrôle et l'Autorité d'Allah, il faut être vraiment sot pour se montrer vaniteux à cause de la fortune qu'on possède. S'il est vrai que, même réunis tous, grands et petits, pauvres et riches, nous ne pouvons rajouter un iota à la Grandeur du Royaume d'Allah, de quoi, un homme qui n'est qu'une poignée de sable, peut-il se vanter? Lorsqu'un clergé ou un réformateur sait que même en matière de guidance et de maturité mentale qui font sa force, il dépend de la Faveur et du Pouvoir d'Allah, comment pourrait-il considérer que ses efforts méritent estime et appréciation?

Lorsqu'on est conscient que tout appartient à Allah et que nous sommes à ce point pauvres, nécessiteux et dépendants, pourquoi donc cette vanité, cette présomption et cette arrogance de notre part?

Tels sont les commandements et les sermons que l'austérité du Prophète `Isâ grava dans l'esprit d'Abû Tharr. En tout cas, c'est de cette façon que le Prophète Mohmmad s'appliqua à façonner la nature ascétique d'Abû Tharr. Mais nous devons être prudents lorsque nous abordons cet aspect (l'ascétisme) des enseignements et des exhortations du Saint Prophète, car l'Islam se distingue de toutes les autres religions pour ses réserves concernant la vie monastique.

En effet, vu cet ascétisme d'Abû Tharr qui occupe une place particulière parmi les Compagnons du Saint Prophète, d'aucuns pourraient se demander pourquoi, l'Islam s'était opposé à la vie monastique et l'avait considérée comme innovation de moines et de clergés?

La réponse à une telle interrogation mérite qu'on prête une attention particulière à cette question. En général, abstinence et piété signifient que l'on quitte la ville pour se réfugier sur une montagne et à l'intérieur d'une forêt en vue d'adorer Allah dans l'isolement et la solitude. Mais le récit suivant rapporté par Abû Tharr nous permet de rectifier cette conception de l'ascétisme.

«Le Saint Prophète, raconte Abû Tharr, m'a dit que ramasser une pierre dans une rue passante est aussi une bonne action, aider une personne faible est aussi un acte de charité, et même l'acte sexuel dans le cadre du mariage est un acte de bienfaisance (Musnad Ahmad Ibn Hanbal).

»J'ai demandé alors au Saint Prophète avec étonnement: "Comment! Cohabiter avec son épouse, constitue un acte de charité, même si l'homme, ce faisant, satisfait, en réalité, son besoin sexuel?! Si un homme satisfait son besoin, aura-il en plus une récompense spirituelle pour cette satisfaction personnelle?!". Le Prophète m'a répondu: "Bon! Dis-moi. Ne commettrais-tu pas un péché, si tu avais satisfait ce besoin d'une façon illégale et par des moyens interdits?" "Certainement", ai-je répondu. Le Prophète dit: "Les gens pensent au péché et non au bien. Habituellement, ceux qui mènent une vie d'ascétisme renoncent au travail et à la profession, et lorsque, plus tard, les nécessités de la vie se feront durement sentir, ils seront conduits à mendier volontiers"».

Abû Tharr relate un autre récit: «Un jour le Saint Prophète m'a appelé et m'a dit: "Voudrais-tu bien prêter un serment d'allégeance pour une conduite qui ne te réservera que le Paradis?". "Ah, oui"ai-je répondu. Puis, j'ai tendu ma main (en guise de prestation de serment), et le Saint Prophète de dire: "Je voudrais que tu me donnes ta parole que tu ne mendieras jamais rien de personne". "D'accord" dis-je. Le Saint Prophète précisa: "Même pas le fouet qui tombe de ton cheval. Tu dois, plutôt que de demander à quelqu'un de le ramasser pour toi, descendre de ton cheval et le ramasser toi-même"».

Toujours selon Abû Tharr, le Prophète lui dit: "Ne sois pas indifférent aux autres. Si tu n'as rien à donner à un frère musulman, tu devrais au moins le recevoir avec un sourire".

Il dit encore: «Mon bien-aimé (le Prophète) m'a commandé de me montrer bon envers mes proches, même s'il m'était difficile de le faire» (Musnad Ahmad Ibn Hanbal).

Les enseignements du Saint Prophète ne tarderont pas à forger le caractère et la personnalité d'Abû Tharr et à se refléter à travers sa conduite. En effet, on le voyait de plus en plus en compagnie des indigents et des nécessiteux. Il était très sensible à tout détail que le Prophète lui avait envoyé, et se détachait de beaucoup d'autres Compagnons qui n'étaient pas mus par les moeurs du Messager d'Allah. Etant resté aux côtés de l'Imam Ali après la disparition du Saint Prophète, il put conserver et consolider le caractère doux et les bonnes habitudes qu'il avait acquis du Messager d'Allah.

Le Saint Prophète avait ordonné: «Donnez à vos serviteurs et à vos subordonnés ce que vous mangez et ce que vous portez vous-mêmes» (Musnad Ahmad Ibn Hanbal). Or, on trouve l'incarnation de ce commandement dans la conduite d'Abû Tharr.

Conformément aux traditions du Saint Prophète, Abû Tharr considérait le mariage comme quelque chose d'essentiel. Il s'était marié, mais le mariage ne signifiait jamais pour lui jouissance et joie. C'était seulement respecter une recommandation. On dit que son épouse l'accompagnait partout où il se rendait.

Etant donné que sa femme était africaine, les gens lui disaient parfois: «Ah! Tu as une femme noire!». Et il répondait: «Il vaut mieux avoir une femme noire et laide qu'une belle femme et pour la beauté de laquelle seulement mon nom serait évoqué». Abû Tharr avait beaucoup d'estime pour son épouse.

L'hospitalité n'est pas seulement l'une des meilleures qualités de l'homme, mais elle est l'essence de l'humanisme. Selon les principes de l'Islam l'être le plus conscient est celui qui est le plus imbu de l'esprit de l'hospitalité.

Na`im Ibn Qa`nat al-Riyâhî raconte: «Un jour, je suis allé voir Abû Tharr et je lui ai dit que je l'aimais et le détestais en même temps. Il m'a demandé comment je pouvais réunir ces deux sentiments contraires? Je lui ai répondu: «Je tuais mes enfants jadis. Maintenant, j'ai pris conscience que ce que je faisais était une mauvaise pratique. Ainsi, chaque fois que je pense devoir venir auprès de toi pour que tu m'indiques quel est le rachat ou la rédemption de ce crime, ces deux sentiments envers toi surgissent. Lorsque je pense qu'il vaudrait mieux que tu m'indiques le moyen de me racheter, le sentiment d'amour envers toi apparaît, mais lorsque je pense que ce serait douloureux pour moi pour toujours si tu me disais que mon crime est impardonnable, le sentiment de haine envers toi se soulève en moi. Maintenant, je suis venu quand même pour savoir quelle est la solution de mon problème?».

- Abû Tharr m'a demandé: «Bon! Dis-moi d'abord si tu avais commis ce crime pendant l'Epoque de l'Obscurantisme (pré-islamique) ou après ta conversion à l'Islam?»

- Pendant l'Epoque Obscurantiste, ai-je répondu.

- Ton péché est pardonné. L'Islam est le remède de tous ces genres de péchés, conclut Abû Tharr.

»En entendant cette réponse, j'ai été satisfait et soulagé. Et m'apprêtant à prendre congé, Abû Tharr me dit: "Attends". Je me suis exécuté, et Abû Tharr a fait signe à son épouse pour qu'elle apporte un repas. Celle-ci s'est éclipsée puis elle a réapparu avec des choses à manger. Abû Tharr m'a dit: "Bismillâh (Veuille bien commencer à manger, au nom d'Allah)". Avant de me mettre à table, je lui ai demandé de venir me joindre. Il m'a dit: "Je fais le jeûne"et il s'est mis à accomplir ses prières. J'ai commencé à manger et lorsque j'étais sur le point de terminer le repas, il a fini sa prière et s'est mis à manger.

»Interloqué, je lui ai dit: "Dire des mensonges constitue un grand péché en Islam, et même si je présume qu'une personne serait menteuse, il est possible qu'elle le soit. Mais je ne sais pas quelle opinion je devrais me faire de toi?".

- Abû Tharr m'a répondu: "Tu étais assis pendant si longtemps avec moi. Qu'est-ce qui te fait présumer que je serais menteur?".

- J'ai répondu: "Tout à l'heure tu m'as dit que tu faisais le jeûne et te voilà maintenant en train de manger avec moi!".

- Abû Tharr: "Je n'ai pas menti. Je fais le jeûne tout en mangeant avec toi".

- "Comment cela?" lui ai-je demandé avec étonnement.

- Abû Tharr m' a expliqué: "Le Saint Prophète a affirmé que quiconque fait le jeûne le 13e, le 14e et le 15e jours du mois de Cha`bân, est considéré comme observant le jeûne pendant tout ce mois. En d'autres termes, il aura la récompense spirituelle de dix jours pour chaque jour de jeûne. Et comme j'ai fait le jeûne pendant ces trois jours, j'ai le droit de penser que, sur le plan de la récompense, j'observe le jeûne pendant tout le mois".»(8)

Al-`Allâmah al-Bayhaqî relate un récit similaire dont ci-après le résumé:

«Un jour, Abû Tharr et `Abdullâh Ibn Chafîa al-`Uqaylî sont allés chez quelqu'un, comme hôtes. Abû Tharr avait dit d'abord qu'il observait le jeûne, mais quand on a servi le repas, il s'est mis à manger. Abdullâh, déconcerté, lui a demandé alors: "Mais tu fais le jeûne!". Abû Tharr lui a répondu: "J'en suis tout à fait conscient. Je ne l'ai pas oublié. Mais je fais toujours le jeûne pendant les trois jours de chaque mois, appelés Ayyâm al-Bîdh, et en vertu de la Tradition du Saint Prophète, j'ai le droit de me considérer comme observant le jeûne pendant tous les jours du mois"». (Sunan al-Bayhaqî)


Chapitre 6 
Véridicité, érudition et ascétisme

Al-Chahîd al-Thâlith, al-`Allâmah al-Chustarî écrit à propos d'Abû Tharr:

«Il était l'un des plus grands Compagnons et reconnu comme étant parmi les premiers d'entre eux à avoir embrassé l'Islam. En effet, il était la troisième personne à épouser l'Islam, après la Mère des Croyants, Khadijah al-Kubrâ et le Commandeur des Croyants, l'Imam `Ali Ibn Abî Tâlib. Selon l'auteur de "Isti`âb", ses traits distinctifs étaient sa vaste connaissance, son austérité, sa piété et sa véracité. L'Imam `Ali disait qu'Abû Tharr avait atteint une position dans l'acquisition et la compréhension des enseignements islamiques que personne d'autre n'avait pu atteindre. Le Saint Prophète disait qu'Abû Tharr était semblable à `Isâ dans ma Nation et qu'il avait l'austérité du Prophète `Isâ».

Selon une tradition, quiconque voudrait voir l'humilité du Prophète `Isâ (Jésus) doit observer le caractère d'Abû Tharr. Dans son livre "`Uyûn Akhbâr al-Redhâ", al-Chaykh al-Çadûq écrit que l'Imam `Ali al-Redha rapporta de ses grands-pères que le Prophète avait dit: «Abû Tharr est le véridique de cette Ummah (Nation Musulmane)».

L'Imam `Ali Ibn Abi Tâlib prédisait qu'Abû Tharr serait le seul homme à ne pas transiger avec les ordres et les Commandements d'Allah, c'est-à-dire qu'il dirait ce qui est vrai et qu'il le suivrait d'acte, sans se soucier d'aucune menace qui en découlerait, ni des intimidations du pouvoir en place.

Des théologiens ont fait remarquer qu'Abû Tharr avait prêté serment devant le Prophète de ne craindre aucun reproche lorsqu'il s'agit de sa foi en Allah et de dire la vérité, si amère soit-elle.

La véracité et le courage sont des qualités que même les plus grandes personnalités ne peuvent s'en doter facilement. Mais le Saint Prophète avait prédit que ces qualités seront les traits saillants d'Abû Tharr, en ajoutant que ce dernier jouera un grand rôle sur ce plan et qu'il préservera ces qualités même lorsqu'il subira des persécutions difficilement supportables.

Le Prophète (Ç) dit: «Il n'y a entre le baldaquin du ciel et le tapis de la terre, personne qui dépasse Abû Tharr quant à sa véracité»(9).

Expliquant ce hadith, al-`Allâmah al-Subaytî écrit: «Le Saint Prophète, s'adressant à ses Compagnons dit: "Qui parmi vous me rencontrera le Jour des Comptes dans la même condition que je l'aurai quitté dans ce monde?". A cette question tout le monde se tut sauf Abû Tharr qui dit que ce serait lui. Le Saint Prophète approuva: «Il n'y a pas de doute. Tu as raison», avant d'ajouter, en s'adressant à ses Compagnons: «O mes Compagnons! Rappelez-vous bien ce que je vais vous dire. Il n'y a personne entre la terre et le ciel qui soit plus véridique qu'Abû Tharr»(10).

Dans son livre "Hayât al-Qulûb", Al-`Allâmah al-Majlici a mentionné ce Hadith en le faisant suivre par d'autres récits dans le même sens.

Ibn Bâbawayh, citant des sources dignes de foi, écrit: «Quelqu'un a demandé à l'Imam al-Çâdiq si Abû Tharr était meilleur que les Gens de la Maison du Prophète ou si c'est bien le contraire? L'Imam répondit: "Combien de mois y a-t-il dans une année?". "Douze", répondit l'interlocuteur. "Parmi ces douze mois, combien quel est le nombre des mois sanctifiés?"demanda encore l'Imam. "Quatre", répondit l'interlocuteur. "Le mois de Ramadhân fait-il partie de ces quatre mois?" poursuit l'Imam. "Non", dit l'homme. "Ramadhân est-il meilleur que les quatre mois sanctifiés ou le contraire?"continua l'Imam. "Le mois de Ramadhân est meilleur", fit l'interlocuteur. "Tel est aussi notre cas nous les Ahl-ul-Bayt. On ne peut comparer personne à nous"».

Un jour Abû Tharr était assis en compagnie d'autres personnes qui étaient en train d'évoquer les mérites des notables de la Ummah. Abû Tharr dit: «`Ali (Ibn Abi Tâlib) est le meilleur de cette Nation, il est celui qui répartit les gens entre le Paradis et l'Enfer; il est le Çiddîq (le véridique) et le Faroûq (celui qui distingue le vrai du faux) de la Ummah, et la preuve d'Allah auprès d'elle». En entendant ces éloges, les Hypocrites de l'assemblée se détournèrent la face, et le traitèrent de menteur. Abû Amâmah se leva sur-le-champ, alla voir le Prophète et lui rapporta l'incident. Le Prophète dit alors: «Il n'y a personne entre le ciel et la terre qui soit plus véridique qu'Abû Tharr».

Le même livre, se référant à d'autres sources parfaitement crédibles, relate que quelqu'un demanda un jour à l'Imam J`afar al-Çâdiq si le Hadith du Prophète ci-dessus cité était authentique, l'Imam répondit par l'affirmative. L'interlocuteur demanda alors: «Quelle est dans ce cas la position du Saint Prophète, de l'Imam `Ali, de l'Imam al-Hassan et de l'Imam al-Hussayn». L'Imam al-Çâdiq répondit: «Nous sommes comme le mois de Ramadhân qui renferme une nuit pendant laquelle l'adoration d'Allah est égale à celle accomplie durant mille mois, alors que les autres Compagnons sont comme les mois sanctifiés par rapports aux autres mois de l'année. Personne ne peut être comparé à nous, les Ahl-ul-Bayt».

Il ressort clairement du Hadith susmentionné du Saint Prophète qu'Abû Tharr n'avait pas d'égal dans sa véracité. Le commentaire et l'explication de ce même Hadith, faits par al-Subaytî, nous indiquent qu'Abû Tharr aurait quitté ce monde dans la même condition dans laquelle le Saint Prophète l'avait quitté, et qu'il le rencontrera dans cette même condition le Jour de la Résurrection. En fait, la persévérance d'Abû Tharr dans la voie qu'avait tracée le Saint Prophète révèle son incomparable vertu. Les théologiens s'accordent pour dire qu'Abû Tharr ne s'était écarté, même pas d'un petit pouce, de la ligne du Prophète. Après la disparition du Messager d'Allah, même un Compagnon comme Salmân était contraint de prêter serment d'allégeance au pouvoir, et il fut tellement battu un jour dans le masjid que son cou en devint ballonné. Mais Abû Tharr ne consentit jamais à se taire.

Al-`Allâmah al-Subayti écrit: «Abû Tharr était l'un de ces adeptes du Saint prophète, qui collèrent sur leur voie et restèrent fermement fidèles à leur convention avec Allah. Il obéit au Saint Prophète très sincèrement, suivit ses traces et imita sa conduite. Il ne quitta l'Imam `Ali même pas l'espace d'une seconde, le suivit jusqu'à la fin et reçut les bénéfices de la lumière de son savoir"».

Al-`Allâmah al-Majlicî écrit: «Ibn Bâbwayh rapporte le récit suivant de l'Imam al-Çadiq: "Un jour Abû Tharr passa chez le Prophète à un moment où il parlait en privé avec Jibrâ'îl (l'archange Gabriel) qui avait pris la forme de Dahyah al-Kalbî. Abû Tharr se retira, présumant que Dahyah al-Kalbî tenait une conversation privée avec le Messager d'Allah. Après son départ Jibrâ'îl dit au Prophète: "O Mohammad! Abû Tharr vient d'arriver, mais il est reparti tout de suite sans me saluer. Crois-moi que s'il m'avait salué, j'aurais certainement répondu à sa salutation. O Mohammad! Abû Tharr porte sur lui une Invocation que les habitants du Paradis connaissent bien. Ecoute! Quand je retourne au Ciel, interroge-le sur cette invocation". Le Prophète (P) dit: "D'accord". Lorsque Jibrâ'îl repartit et qu'Abû Tharr revint chez le Prophète, celui-ci lui demanda: "O Abû Tharr! Pourquoi ne nous as-tu pas salués quand tu es venu tout à l'heure?". Abû Tharr répondit: "Quand je suis venu, Dahyah al-Kalbî était assis à côté de toi et tu tenais une conversation avec lui. Je pensais que vous aviez des choses privées à vous dire et j'ai estimé qu'il n'était donc pas convenable de vous interrompre. Aussi, ai-je rebroussé chemin". Le Saint Prophète lui dit: "Ce n'était pas Dahyah al-Kalbî, mais Jibrâ'îl éguisé en ce personnage. O Abû Tharr! Il m'a dit que si tu l'avais salué, il aurait répondu à ta salutation. Il m'a informé aussi que tu possèdes une invocation bien connue parmi les gens du Ciel". Abû Tharr se sentit très gêné et exprima son regret. Puis le Saint Prophète lui dit: "O Abû Tharr! J'aimerais connaître la prière que tu récites et dont parlent les gens des ciels". Abû Tharr lui récita alors la prière suivante:

"Allâhumma innî As'aluka-l-amna wa-l-îmâna bika wa-t-taçdîqa bi-nabiyyika wa-l-`âfiyata min jamî`-il-balâ'i wach-chukra `ala-l-`âfiyati wa-l-ghinâ `an chirâr-in-nâss» (= O Allah, Je Te demande de m'accorder la sécurité et la foi en Toi, la croyance à Ton Prophète, l'évitement de tous les malheurs, la reconnaissance pour la bonne santé, le non-besoin des méchants parmi les gens)"(11).

Il y a d'innombrables traditions, aussi bien Chiites que Sunnites, qui affirment que le Prophète avait ordonné que les Musulmans doivent aimer quatre Compagnons. Les théologiens disent que ces quatre Compagnons sont: `Ali Ibn Abi Tâlib, Abû Tharr, Al-Miqdâd et Salmân al-Faricî.

`Omar Kachi dans son "Rijâl", Abû Ja`far al-Qummî dans "Al-Khaçâ'il", `Abdullâh al-Humayrî dans "Qurb-ul-Asnad", Al-Chaykh al-Mufîd dans "Al-Ikhtiçâç", Al-Ayâchî dans son "Commentaire", Al-Çadûq dans "`Uyûn Akhbâr al-Redhâ", `Abdul Barr dans "Al-Isti`âb", Ibn Sa`d dans son "Tabaqât" et l'auteur de "Usud al-Ghâbah" dans son livre, ont rapporté le Hadith suivant:

«Le Saint Prophète a dit: "Allah m'a ordonné de préserver et d'aimer mes quatre Compagnons et amis, et j'ai été également informé qu'Allah aussi les considère comme des amis. Ces Compagnons sont:

1- `Ali Ibn Abi Tâlib

2- Abû Tharr al-Ghifârî

3- Al-Miqdâd Ibn Aswad

4- Salmân al-Farecî"»

(voir "Michkât Charîf", p. 572).

Selon un autre Hadith ces quatre Compagnons étaient: Salmân al-Farecî, Abû Tharr al-Ghifârî, Al-Miqdâd et Ammâr Ibn Yâcir. Les théologiens sont d'avis que ce sont ces quatre noms qui font l'objet de l'affection des cieux et de leurs habitants. Il est dit dans une tradition (hadith) que lorsqu'un crieur proclamera le Jour du Jugement: "Où sont ces Compagnons de Mohammad Ibn `Abdullâh qui n'ont pas trahi leur promesse d'aimer les Ahlu Bayt al-Risâlah (les Gens de la Maison du Messager = la famille du Prophète), et qui sont restés fidèles à cet engagement?", Salmân al-Farecî, Al-Miqdâd et Abû Tharr se lèveront».

Al-`Allâmah Nûrî écrit, citant "Rawdh-ul-Wâ'idhîn" de Cheikh al-Chahîd Mohammad Ibn Ahmad Ibn `Ali Ibn Fital Nîchâpûrî que l'Imam Mohammad al-Bâqir a dit: «Il y a dix degrés de foi. Al-Miqdâd en avait atteint huit, Abû Tharr neuf et Salmân al-Fârecî dix».

"Le lien de fraternité" fait référence à l'événement historique pendant lequel le Saint Prophète établit la fraternité entre chaque deux individus de ses compagnons, avant et après son Emigration à Médine. Avant l'Emigration, il avait établi le lien de fraternité entre chaque deux compagnons afin que chacun d'eux, ainsi lié, reste attaché à l'autre. Le choix des deux partenaires tenait compte du tempérament de chacun. Il choisissait, pour la fraternisation, deux compagnons, de nature et de caractère semblables. C'est sur cette base qu'il avait établi la fraternité entre Abû Bakr et `Omar, Talhah et al-Zubayr, `Othmân et `Abdul-Rahmân Ibn `Awf, Hamzah et Zayd Ibn Hârithah, Salmân et Abû Tharr, lui-même et `Ai.

Puis, cinq ou huit mois (selon des versions différentes) après l'Emigration, le Saint Prophète établit de nouveau des liens de fraternité de la même façon. Il était nécessaire d'établir des liens de fraternité entre les Emigrants (Muhâjirîn) et les Partisans (qui sont les autochtones) afin qu'ils sympathisent entre eux. Il établit ainsi des liens de fraternité entre cinquante personnes.

Al-`Allâmah Chibli al-No`mânî écrit: «L'Islam possède les meilleures moeurs et les vertus les plus parfaites. Il a tenu compte de la nécessité de la compatibilité des goûts et des tempéraments lorsqu'il a établi la fraternité entre chaque deux compagnons. L'unité du goût entre l'instituteur et l'élève est nécessaire pour l'assimilation du savoir. L'étude de l'événement de la fraternisation nous permet de constater que le facteur de l'unicité du goût entre chaque deux compagnons appelés à fraterniser était pris en compte. Et lorsqu'on sait qu'il est quasiment impossible de juger et de déterminer avec précision, et en si peu de temps, les tempéraments, les goûts et les caractères de centaines de personnes, on doit reconnaître que le jugement du Saint Prophète était un exemple spécifique des attributs de la prophétie»(12) .

En outre, l'étude de la fraternisation et du choix de deux compagnons pour être liés par un lien de fraternité nous fournit des indications supplémentaires importantes sur la personnalité et la position de chacun de ces compagnons. Il est notable de remarquer ici que le Saint Prophète n'avait trouvé personne ni parmi les Emigrants, ni parmi les Partisans qui fût du goût de `Ai Ibn Abi Tâlib. Et lorsque celui-ci demanda au Saint Prophète: «O Messager d'Allah! A qui m'as-tu lié par alliance de fraternité?», ce dernier répondit: «Tu es mon frère dans ce monde et dans l'Autre». Ce qui autorisa l'Imam Ali à proclamer par la suite du haut de sa chaire au Masjid de Kûfa, et à diverses reprises: «Je suis le serviteur d'Allah et le frère du Prophète d'Allah»(13) .

Il est à noter dans ce contexte que le Saint Prophète disait à propos de Salmân al-Farecî: «Salmân est l'un de nos Ahl-ul-Bayt (la Famille du Prophète)». Or, ce n'est sûrement pas par hasard que le Saint Prophète choisit pour Salmân, Abû Tharr comme "frère".

Al-`Allâmah al-Subaytî cite à ce propos la déclaration de Çâleh al-Ahwal selon laquelle il avait entendu l'Imam Ja`far al-Çadiq dire que le Saint Prophète avait établi le lien de fraternité entre Salmân et Abû Tharr et demandé à celui-ci de ne pas s'opposer à celui-là» ("Abû Tharr al-Ghifârî", p.86, cité par Uçûl al-Kâfî).

La position d'Abû Tharr dans l'Islam était telle, que des versets coraniques furent révélés en ses louanges. L'un de ces versets est: «Ceux qui auront cru et qui auront accompli des oeuvres bonnes habiteront les Jardins du Paradis où ils demeureront immortels sans désirer aucun changement» (Sourate al-Kahf, 18: 107-108).

L'Imam Ja`far al-Çadiq dit que ce verset faisait allusion à Abû Tharr, al-Miqdâd, `Ammâr Ibn Yâcir et Salmân al-Farecî. Selon une Tradition, le Prophète (P) dit qu'Allah lui avait ordonné d'aimer Salmân, Abû Tharr, al-Miqdâd et `Ammâr, en ajoutant qu'il les tient, lui-même, pour des amis. Selon une autre Tradition le Prophète dit: «Le Paradis est heureux de recevoir ces gens»(14).

Al-`Allâmah al-Guilânî écrit que l'honneur et le prestige d'Abû Tharr s'affirmaient, jour après jour, dans le cercle du Prophète, à tel point que lorsque le Messager d'Allah partit pour livrer la Bataille de Thât al-Ruqa`(15), il le nomma chef de Médine, et il élevait même d'autres membres de sa tribu, à cette dignité, pour marquer son estime pour lui et les siens. Par exemple, le Saint Prophète nomma Saya` Ibn `Urfah al-Ghifârî, chef de Médine lors de la Bataille de Dawmat al-Jandal" (voir Zâd al-Ma`âd).

Il était courant en Arabie que chaque fois que quelqu'un monte sur un chameau, il demandait à son ami le plus cher de servir de "dossier" pour lui. Le "dossier" s'asseyait normalement derrière lui et le tenait par la taille. Conformément à cette coutume générale, le Prophète, aussi, avait un homme-"dossier". Au cours du dernier pèlerinage son "homme-dossier" était Al-Fadhl Ibn `Abbâs Ibn `Abdul Muttalib.

Les Compagnons considéraient que le fait de se servir de "dossier" au Saint Prophète était un grand honneur. Le "dossier"du Prophète était appelé "Radif al-Nabî". Les théologiens disent que le Prophète conférait cet honneur, la plupart du temps à Abû Tharr. Le Messager d'Allah montait non seulement sur les chameaux, mais souvent aussi, sur des animaux plus petits, tels que les ânes. Il avait l'habitude de mettre Abû Tharr derrière lui et de converser avec lui tout au long du trajet (Tabaqât Ibn Sa`d).

Châh Walyyullâh Delhavi, décrivant la période de troubles pendant l'événement de Harrah, écrit: «Abû Dâwûd a cité le récit suivant relaté par Abû Tharr: "Un jour, j'étais assis derrière le Prophète sur un âne. Lorsque nous avons quitté le quartier populaire de Médine, il m'a demandé quelle sera mon attitude lorsque la famine sévira à Médine et qu'il me sera difficilement supportable même de quitter mon lit pour aller jusqu'au masjid? J'ai répondu: "Allah et Son Messager le savent mieux que moi". Il dit: "O Abû Tharr! N'essaie pas de mendier pendant ces temps difficiles". Et de me demander encore: "Quelle sera ton attitude lorsque le prix d'un tombeau sera égal à celui d'un esclave en raison du très haut taux de mortalité?". J'ai répondu: "Allah et Son Messager le savent mieux que moi". Il a dit: "O Abû Tharr! Pratique la patience en ce moment-là". Il m'a demandé encore: "O Abû Tharr!